Ce jour là

Que lui avez-vous dit ce jour là ? Rien de particulier, vous lui avez parlé de vous, de votre vie, vos projets, de votre week-end raté à Marseille, où vous n’aurez pas vu Madonna pour la cinquième fois…. Elle a sourit.
L’infirmière vous a prévenue qu’elle était fatiguée « elle a eu une journée éprouvante ». Des moments, vous ne dites rien, vous la regardez, lui demandez « t’es sûre que tu ne veux pas un peu d’eau », elle en veut bien. Comme un petit enfant, vous l’aidez à mettre le verre à la bouche en lui faisant une blague pour cacher la tristesse. Elle vous connait, elle a l’habitude. Elle a l’habitude de vous voir vous agiter comme un zébulon pendant l’heure que dure votre visite.

Que lui avez-vous dit ce jour là ? Que vous saviez bien qu’elle vous laissait gagner toutes les parties de cartes? Que vous n’oublierez jamais l’avoir vue au premier rang dans sa jolie robe, ce 31 décembre, vous fixant avec son regard bleu délavé, droite et fière quoique légèrement tendue en entendant sortir de votre bouche tout le vocabulaire fleuri de zézette du « Père Noël est une ordure »? Que sa phrase culte « Vous saurez, j’ai un gros défaut, je suis TOUJOURS à l’heure » sera désormais le slogan officiel de votre famille, bien qu’elle fût le seul membre à l’appliquer? Qu’elle était et sera toujours votre exemple ? Qu’il s’est passé du temps, beaucoup trop de temps, depuis votre dernière visite, vous avez plein de bonnes excuses, vous étiez très prise, mais que c’est de la connerie tout ça? Que bientôt on se sentira obligé de vous réconforter, ça n’aura aucune importance, ce que vous avez vécu ensemble, vous êtes les seules à le savoir? Que vous l’aimiez ?

Vous ne lui avez rien dit de tout ça. « Elle le savait déjà n’est-ce pas ? Hein qu’elle le savait ?».

Vous avez parlé de Madonna, puis vous vous êtes levée, l’avez embrassée, en ajoutant « J’étais vraiment contente de te voir ». Elle vous a répondu avec cette voix, cette voix franche, catégorique que vous connaissiez tellement bien : «Oh je pense bien ! », cette fois, c’est vous qui avez souri, puis, gentiment, vous l’avez regardée se rendormir et vous avez refermé les portes de votre enfance, pour toujours.

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