Imaginez

Une fois n’est pas coutume, je partage aujourd’hui un petit texte qu’il m’a été donné de voir bien quelque fois sur mon fil d’actualité Facebook. Un texte simple comme souvent car si on y ajoute des concepts trop complexes et de la nuance, on perdrait beaucoup de gens en cours de route.  On met du noir, on met du blanc, un peu d’ « aimez votre prochain », on ajoute un emoji à la fin et ça passe. C’est vite lu, vite compris, ça ne demande pas à réfléchir, ça nous flatte en nous faisant croire que l’on a une réflexion poussée, bref c’est calibré pour être encensé, on adore !

Ce texte, qui est à la sociologie ce que Mc Donald est à la gastronomie, je l’ai reproduit dans son intégralité dans les lignes suivantes (s’il n’a pas été coupé et modifié suite à ces nombreux re post), le voici, tel quel :

Imaginez !!!
Tu nais en l’an 1900.
Quand tu as 14 ans, la première guerre mondiale commence et se termine quand tu as 18 ans.
Bilan de 22 millions de morts.

Peu de temps après une pandémie mondiale, la grippe espagnole, apparaît, avec 50 millions de personnes qui meurent.
Heureusement tu es toujours en vie et tu as 20 ans.

Quand tu as 29 ans, tu survis à la crise économique mondiale qui a commencé avec l’effondrement de la bourse de New York.
Cela a provoqué l’inflation, le chômage et la famine dans le monde entier.
Pendant ce temps, quand tu as 33 ans, bientôt, les Nazis arriveront au pouvoir en Allemagne.
Quand tu as 39 ans, l’Allemagne envahit la Pologne et commence la Seconde Guerre mondiale.
Tu as enfin 45 ans quand la Seconde Guerre mondiale prend fin.
Bilan : 60 millions de morts.
6 millions de Juifs meurent dans la Shoah.
Heureusement tu es toujours en vie !

Quand tu as 52 ans, la guerre de Corée commence.
Quand tu as 64 ans, les Américains commencent la guerre au Vietnam.
Tu as 75 ans quand cette guerre prendra fin.
Heureusement tu es toujours en vie !

Maintenant !!!

Un jeune né en 1980 pense que ses arrière grands-parents,et grands- parents n’ont aucune idée de la difficulté de la vie, mais ils ont survécu à plusieurs guerres et catastrophes, sans parler des restrictions lors de la première crise pétrolière au début des années 1980 !

Aujourd’hui, nous trouvons tout le confort dans un nouveau monde mais malheureusement au milieu d’une nouvelle pandémie.
Les gens se plaignent de rester à la maison pendant des semaines.
Alors qu’ils ont de l’électricité, des téléphones portables, de la nourriture, de l’eau chaude et un toit sécurisé sur leur tête.

Rien de cela n’existait en ces temps-là.
Mais l’humanité a survécu à ces circonstances et n’a jamais perdu la joie de vivre !

Aujourd’hui, nous nous plaignons parce que nous devrions porter des masques pour entrer dans les supermarchés !

Un petit changement dans notre pensée et notre mentalité peut faire des merveilles !

Nous sommes encore en vie et nous devons tout faire le nécessaire pour nous protéger et nous entraider !!! …. 🙂

Marijke Marnix Roesyn Deschamps

Voilà.

Tout le monde se sent mieux maintenant ? Si ? Non ?

Sérieusement ? Vous ne vous sentez-vous pas mieux en sachant que c’était pire avant et que vous vous plaignez pour rien?

Oui il y a pire, il y a toujours pire, vous n’êtes pas exploité dans une usine textile au Bangladesh, votre pays n’est pas ravagé par la guerre, vous avez accès au confort (relatif pour certain), si je suis la logique de ce texte, ces seuls éléments devraient vous convaincre que tout va bien pour vous.

Et bien non, pas forcément, n’en déplaise aux amateurs de philosophie à la louche, la joie de vivre est parfois plus complexe qu’une liste « pour ou contre » que l’on ferait pour choisir un appartement. Elle inclut notamment entre autres l’exemple que nous ont donné nos parents face aux aléas de la vie, notre place dans la société et notre relation aux autres, et de manière non négligeable notre génétique. Il y a des gènes plus doués que d’autres pour le bonheur, c’est comme ça.

Si la seule pensée qu’il y a plus malheureux que nous suffisait à la paix intérieure, les cabinets de psy ne seraient pas remplis, les anti-dépresseurs ne seraient pas les médicaments les plus utilisés, tout le monde serait heureux et équilibré et les prisons seraient vides.

Alors on est d’accord, il y a pire dans la vie qu’un confinement, même si toutes les personnes que j’ai entendu relativiser cet événement ne sont pas celles qui l’ont vécu dans un 16 mètres carré en ville sans possibilité de voir le ciel. On est beaucoup plus serein face à l’adversité dans une maison à la campagne les pieds dans l’herbe.

Ceci étant posé, je ne suis pas née en 1900, la personne qui a écrit ce texte ainsi que celles et ceux qui le relaient non plus d’ailleurs. C’est ce qui est pratique quand on cite des événements que l’on n’a pas vécu, on peut les détourner à sa guise. On peut en être le héro sans trop d’effort. On peut aussi prêter des intentions à autrui comme « l’humanité a survécu à ces circonstances (comme la guerre mondiale ou l’effondrement de la bourse de New-York) sans perdre sa joie de vivre ! », sans être contrarié vu que les principaux protagonistes sont morts depuis longtemps.

Peut-être l’ont-ils perdue d’ailleurs, leur joie de vivre, mais on s’en fiche complètement. Ils ne sont pas importants. Ils sont juste là comme alibi pour faire culpabiliser les vivants.

Et je rajouterai perfidement que si la joie de vivre était tellement importante après la guerre de 14-18 on se demande pourquoi celle de 39-45 a eu lieu, mais je m’égare.

Mes grands-parents sont nés, à 20 ans près, dans les années citées en exemple.  Je n’ai jamais pensé, comme ce texte en prend le parti qu’ils n’avaient aucune idée de la difficulté de la vie. Je pensais juste qu’ils ne captaient rien aux ordinateurs ou comment régler une télévision, ce qui n’était pas une impression mais un fait avéré.

Ils ne m’ont jamais dit à moi « jeune » (tout est relatif) des années 80 que j’avais tout le confort nécessaire et que je n’avais qu’à me taire. Au contraire, ils appréciaient de me faire parler sur différents sujets, de préférence sociétal ou politique, afin d’avoir mon avis tranché et plein de certitude comme on peut l’être adolescent. Sans me faire la morale ou avoir de parti pris, ils m’ont permis d’avoir ce que ce texte simpliste exclu : un dialogue. Ils ne se sont jamais mis en exemple ou vilipendé la modernité, au contraire, ma grand-mère avait une passion pour toutes les inventions les plus inutiles qui soient comme le couteau à viande électrique ou l’aspirateur de table. Elle serait encore parmi nous, je suis pratiquement sûre que nous devrions lui bloquer son compte Amazone.

C’était tout simplement des gens normaux. Pas des épouvantails de vertu que l’on agite pour faire honte aux générations suivantes.

Ne comparons pas des époques qui n’ont rien à voir, ça n’a aucun sens.

Oui, les jeunes de maintenant n’ont pas eu la grippe espagnole ou la guerre ou toutes les autres adversités citées sans nuance. En revanche, ils ont une planète que l’on a si bien utilisée dans la jolie période où « l’humanité gardait sa joie de vivre malgré tout » que leur avenir et celui de leurs enfants est loin d’être serein. Ils vivent dans une société où tout le confort dont nos aïeux manquaient s’exhibe sur internet donnant l’impression à ceux qui n’ont pas encore atteint le nirvana des vacances exotiques ou de la voiture hors de prix qu’ils ne sont rien.

Certains ont vu leur famille se déchirer, ont remplacé le lien avec leurs parents par la 4G, ils rentrent dans un monde parfois brutal et compétitif, sans avoir les bases nécessaires pour l’affronter. Et ce fameux confinement dont « on » se plaindrait de manière abusive, ce sont bien les jeunes qui devront en assumer les conséquences alors que, oh ironie de l’histoire, cette maladie ne les concernait pas ou très peu.  

C’était mieux avant ? C’est toujours mieux avant car « avant » n’est plus. C’est d’ailleurs à cela que l’on remarque que l’on a définitivement passé dans la catégorie vieux et aigri (pour être poli), on se sert du passé pour mépriser le présent tout en y ajoutant des bons sentiments et un emoji qui sert un cœur.



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