Voie de faite

Ça s’appelle une voie de faite. J’ai appris ce mot juste avant Noël. Le 23 décembre lors de mes achats dernières minutes de fille mal organisée.
Dans ma famille, nous avons une grande tradition de « on ne se fait pas de cadeau cette année ». Comme chaque année, on me le dit à moi et pas à mon frère. Ce qui fait que pendant que les uns s’affairent à trier les photos de mes neveux et nièces les plus avantageuses pour remplir les mois de mon année à venir, moi je refais ma garde-robe. Histoire d’être jolie et de passer pour la parfaite égoïste au moment de mon traditionnel « mais euh…. on avait dit pas de cadeau ? Non ? »

Donc cette année, j’avais décidé d’être prévoyante, ce qui veut dire pour moi : commencer les achats le 23 décembre
5 cadeaux en un après-midi, c’est jouable. Il faut juste pas d’imprévu. Et devinez quoi ? Bingo, l’imprévu a bien eu lieu. J’a failli me faire shooter sur un trottoir par un camion de livraison. Failli.. donc jusque là tout va bien… On se doute que je ne suis pas entrain de dicter ce post à une infirmière assistante.
Un des avantages de ne pas finir mort sur un trottoir, c’est que non seulement tu peux continuer tes achats de Noël mais qu’en plus, tu as la possibilité de montrer ton mécontentement à ton assaillant. Ce que j’ai fait. L’histoire pourrait se terminer ainsi, mais pas quand on a mon karma à rebondissement.
Le camion de livraison s’arrête tout en klaxonnant. Quand on a ma stature, une attitude intelligente serait de le laisser klaxonner et de se barrer. Quand on a mon caractère, on attend le chauffeur indélicat avec les sourcils qui se touchent et de la fumée qui sort par les oreilles. S’en est suivi une discussion plutôt désagréable et peu élaborée.
« kes t’as ??? » « Ben vous avez failli m’écraser…. » « T’as qu’a regarder où tu marches ! » ( C’est bien connu, les trottoirs ont été conçus pour les camions de livraisons puissent s’y parquer à toute vitesse. S’ils renversent un piéton, c’est un bonus : joueur 1, joue encore). Devant tant de mauvaise fois, j’ai répondu « mais monsieur, je suis sur un trottoir…. » C’est à ce moment là qu’il m’a prise pas le bras (pour une raison indéterminée, mais je doute qu’il voulait entamer un French Cancan en ma compagnie). Je lui ai donc demandé de me lâcher. Sur ce, il m’a répondu « Dégage salope » Quelle argumentation, quelle classe! On ne peut que s’incliner… Sur ce nous nous sommes quittés sans nous souhaiter un joyeux noël en avance.

J’ai continué mes courses. J’ai décidé qu’il était vital de m’acheter un casque pour écouter ma musique. C’est vrai que d’aller dans un grand magasin de multimédia, la veille de noël, quand tu n’as pas un canon sur la tempe, c’est assez crétin….. On mettra ça sous l’effet post-traumatique. En choisissant mon fameux casque, j’ai mon côté « féministe, brûlons nos soutifs » qui s’est mis à hurler.. Merde alors, on est bientôt en 2011. On ne traite pas une femme de salope sur un trottoir, même si elle le fait, le trottoir…. Ce n’est tout simplement pas acceptable. J’ai exacerbé la Simone Weil en moi qui ne demandait qu’à se réveiller et j’ai poussé la porte de l’hôtel de police. Un sketch… je n’ai plus rien à inventer. A l’entrée un réceptionniste rougeot m’accueille après 10 bonnes minutes de rangement de trombone. Tu comprends qu’après avoir été muté à la signalisation, au parking, puis au chat dans les arbre, ce poste, c’est sa dernière chance… Il me fait raconter mon histoire. Je m’exécute « ….puis il m’a dit dégage salope !! ». C’est le moment digne du sketch…. T’as trois personnes derrière toi, deux toxicos qui veulent toujours avertir qu’ils connaissent qqn qui a des GROS problèmes et une pauvre dame qui attend le renouvellement de sa carte de séjour.
Donc je disais, tu hurles ton histoire vu qu’une vitre te sépare du réceptionniste rougeot, et là il te dit : « alors c’est donc pour un dépôt de plainte. Il faut attendre un peu. Il y a quelqu’un avant vous. ».
Youpie, merci beaucoup pour cette brillante avancée ! Pourquoi ne m’a-t-il pas tout simplement demandé : « c’est pour une plainte ou vous êtes une tox qui connaît qqn qui a des gros problèmes ? » J’aurais répondu « une plainte » « Alors, il vous faut attendre » et c’était bon. Il m’aurait évité ma deuxième honte de la journée (se faire traiter de salope sur un trottoir bondé étant , on le comprend, la première).

Puis.. tu attends…. Mais quand je dis attendre, c’est autre chose que chez La Durée à la fête des mères… Non, là, tu ATTENDS. Tu penses à toutes les choses que tu devrais faire, plutôt que de voir stupidement défiler la moitié du commissariat avec leur bûches sous le bras. Une heure et demi….
On finit par te faire entrer dans une salle des dépôts de plainte. Dans le genre « on a hésité à l’utiliser comme prison d’appoint, puis on s’est dit que finalement, non. Ça serait le bureau de dépôt des plaintes », on ne fait pas mieux…. En face de toi, un policier tout jeune, qui ne maitrise pas encore l’art délicat de plainte romancée. Il pose moult questions. Apparemment que ça se soit passé devant le magasin de sport au lieu de la boulangerie juste à côté, ça fait toute la différence. Il tape à deux doigts, doute de son orthographe et de sa syntaxe, si bien que je me vois lui dicter mes phrases mot à mot, m’arrêtant sur les mots compliqués.
Il y a une technique utilisée par les scientologues qui consiste à répéter à l’infini un événements traumatique pour selon eux, vous en libérer. ça ne vous libère d’absolument rien. C’est juste que le fait de répéter une phrase des dizaines et des dizaines de fois, peu à peu, elle perd de son impact. Essayez de répéter : « mon chat est mort ce matin, il s’est électrocuté au grille pain ». Au bout d’un moment, vous n’en aurez plus rien à foutre, du chat. (si vous n’en avez déjà rien à foutre au début, laissez moi vous dire que vous n’êtes pas quelqu’un de foncièrement sympathique)
C’était le même principe avec mon « dégage salope ». Il me l’a tellement fait répéter avec ses « et là… après vous êtes descendue de son camion….. il est venu vers vous et il vous a dit…. » « dégage salope.. mais c’est pas à ce moment là. Et c’est pas moi qui suis descendue du camion, c’est lui. Puis il m’a demandé ce que j’avais, il m’a pris le bras et c’est là qu’il m’a dit : dégage salope » « ?…. Ah…. Alors on reprend….. » et ainsi de suite. Consciente du grotesque de la situation tout en ayant l’impression de souffrir du syndrome de Gilles de la Tourette, au 8ème « dégage salope » j’ai éclaté de rire. Devant l’air interloqué de mon pauvre policier qui en était encore à se demander si « salope » prenait deux « p ». Le récit écrit, l’attente continue, un « collègue » doit le relire. Le collègue apporte ses corrections, je relis ma déposition et me permets de demander si moi aussi, je peux corriger les fautes, puis repars avec une copie et un fascicule « vous avez déposez plainte, ce que vous devez savoir ». c’est du sérieux.. oh oh oh joyeux noël !

Bref, c’est fait. ce type aura donc mon nom complet. Super. Ça lui servira pour me crever les pneux.. les gens sont rarement content quand on dépose plainte contre eux…..
Quoiqu’il en soit, je ne veux ni excuse, ni regret. Je m’en fiche éperdument.. Ce qui est dit est dit et je n’ai que faire de lui, de ce qu’il pense ou pourrait bien avoir à me dire. Je voudrais simplement qu’il doive faire un chèque à une association luttant pour la scolarisation des filles en afrique. Quitte à les reconnaitre du premier coup d’œil sur un trottoir, autant qu’il connaisse le vrai prix d’une salope.

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