Relève-toi

C’est parti d’une question toute bête « comment ça va ? ». Le genre de question que l’on pose tout le temps, entre la photocopieuse et la machine à café, en croisant quelqu’un dans la rue sans pour autant s’arrêter de marcher. La politesse et l’intelligence de base voudrait que l’on réponde « bien, merci et toi », car soyons clair nos jérémiades ou le décès de tante Huguette n’intéresse pas le 98% des gens qui meublent notre quotidien et s’évertuent à être aussi polis qu’on leur a appris. Ça peut aussi donner l’occasion à notre interlocuteur de rebondir sur la très triste et très longue maladie de son oncle Fernand avec moult détails qui nous fera regretter amèrement de l’avoir ramenée, avec notre tante Huguette. Donc « ça va ? » « bien merci » (« et toi ? » en option)
Ce que l’on vit vraiment, ce que l’on ressent, à part le psy qui est grassement payé pour nous fournir en mouchoirs et en bons conseils, on pourra le partager avec….ses amis. Enfin ! On sera récompensé de tous les anniversaires et autres mariages auxquels vous avez fait tous les efforts du monde pour cacher (souvent très mal) l’ennui mortel qui vous gagnait… car vous êtes une brave fille, vous savez que l’alcool ou la drogue c’est mauvais pour votre santé et ça ne résout rien. Vous ne les utilisez pas. Vous privilégiez une réaction saine face à l’adversité. Vous le regrettez.
Cette fois c’est sûr, les longues heures consacrées à écouter les histoires d’accouchements et révélations d’amour maternel au premier regard entendues 146 fois finirons par payer ! L’éternel refrain sur cet amour en nul autre comparable, pouvant soulever des montagnes etc etc… Bref, vous vous en êtes tapée des Erin Brockovitch en puissance (à l’exception non négligeable de votre mère qui n’a même jamais évoqué le sujet, ce qui commence franchement à vous inquiéter). Cependant et poliment, vous feignez l’émotion. Vous avez tu toutes les remarques désobligeantes qu’un si grand et si fort amour soit bien souvent en garde partagée avec la crèche municipale. Car, à propos, que comprenez-vous à l’Amour ? Rien… Malgré cela, Erin Brockovitch étant souvent fort occupée, vous pouvez quand même avoir une grande utilité si la crèche municipale est fermée.

Peu importe, car aujourd’hui c’est vous qui avez quelque chose à raconter. Et pas des moindres. Vous allez mal. Ça arrive aux meilleurs d’entre nous. Tous les bouquins du genre « vous croyez que vous avez des problèmes, mais dans la réalité cosmique tout est parfait et vous allez très bien » vous les avez lus et relus. Vous vous êtes gavée de proverbes intelligents et de phrases qui font mouches. Les philosophes qui pensent que la souffrance est bonne pour tout un tas de concepts compliqués qui vous échappent, vous ne demandez qu’à les croire. Le bilan est pourtant celui-ci, vous n’allez pas mieux.
Alors quand la question « ça va ? » d’une âme amie tant attendue finit par arriver, vous vous empressez de répondre dignement et avec le tragique nécessaire à la situation : « non pas vraiment ». Vous fantasmez une réponse telle que « mince alors ! Dis-moi ce qui ne va pas » à la suite de quoi, vous pourrez faire une liste non exhaustive de tous ce qui craint un maximum dans votre vie (en en rajoutant un peu, il est parfois agréable d’être une victime). Que NENI… La réponse de l’âme amie sera :« Et bien t’es pas la seule ! » BAM ! S’en est fini du rêve éveillé du mur des lamentations. La réalité vous rattrape. Ok, vous pensiez bien ne pas être l’unique spécimen au monde ressentant de la souffrance sur cette planète. Vous êtes triste, pas complètement idiote….. Vous savez également trop bien qu’il y a « pire que vous »….C’est un fait. Vous n’avez pas un cancer stade 4, vous n’êtes pas née « intouchable » à Calcutta, vous mangez à votre faim, de quoi vous plaignez vous ?
Donc, à rajouter à la tristesse du moment, la culpabilité d’être triste « pour rien » finalement. En plus, les problèmes de cœur (car c’est de cela qu’il s’agit), quand il s’agit des autres, vous êtes la première à en rire. On est bête quand on est amoureux… Et on est tellement intelligent quand on est celui qui donne des conseils….. S’avouer à soi-même ainsi qu’aux autres, qu’en la matière vous n’êtes pas meilleure que les autres, pire, vous êtes humaine, n’est pas chose aisée.
Et bien réjouissez-vous, vous en serez exemptée ! Tout de suite après « t’es pas la seule » va s’ajouter un « relève toi et avance ! » sans creuser d’avantage. On croirait cette phrase tirée d’un des nombreux ouvrages intelligents sensés vous aider à gérer (verbe à la mode qui fait sérieux et conquérent). Mince alors, vos amis lisent les mêmes bouquins ! Quitte à acheter des livres qui ne servent à rien, vous auriez pu faire bourse commune.
Bien sûr que vous allez vous relever, évidemment que vous vous en tirerez plus forte, que vous allez grandir et apprendre et blablabla. Mais là maintenant tout de suite, vous réclamez le droit d’être une petite chose triste et miteuse. Demain ça ira mieux, demain vous parlerez en long en large de votre expérience et vous donnerez des bons conseils. Bien sûr qu’il faut penser positivement. Bien que souvent, la pensée positive forcée et intégrée aux forceps soit détournée de son but principal et utilisée comme déni et palliatif à la souffrance. Mais faire comprendre cela à ses inconditionnels vous expédiera dans le camp des « supers négatifs à éviter ».
Aujourd’hui, vous ne voulez pas penser positivement, ni voir pire ailleurs, ni même vous relever. Vous réclamez juste le droit d’être vous et de vous sentir merdique. Que l’on vous écoute, ou pas….

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