Tout avait pourtant si bien commencé

Ils se sont présentés, ont échangés les banalités d’usage et se sont assurés l’un l’autre que « quoi qu’il se passe, je ne prendrai pas ça pour une perte de temps ». C’est dit.
J’ai toujours adoré assister, au premier rendez-vous des gens. On les reconnait tout de suite dans les bars ou les restaurants. Très mal à l’aise, faisant un festival des tics les plus improbables, posant des questions dignes des élections de Miss France. « Tu fais quoi dans la vie ? » puis s’éponge le front, n’écoute pas la réponse et ajoute toujours « ah ça doit être sympa ». Alors qu’il s’en fout de ce que la personne fait de même qu’il trouve ça chiant au possible, peu importe… tout ce qu’il veut c’est essayer de meubler le silence jusqu’à ce qu’il soit assez à l’aise pour faire ce qui l’intéresse beaucoup plus : parler de lui.
Et c’est rarement Indian Jones le mec. Je veux dire par là que son boulot est certainement toujours très intéressant…. pour lui….. Mais passé la surprise « je suis manager et très important dans mon job » s’il ne maitrise pas la manière de raconter de manière ludique comment il a viré sa secrétaire, il pourra vite recommencer à s’éponger et à trouver un autre sujet de conversation (voiture ? vacances ?)
Moi en général à ce stade là, je n’ai pas perdu une miette de la conversation, je prends parti pour l’un ou pour l’autre en me délectant de « oh mon dieu comme ça doit être horrible d’être obligé de passer deux heures de vie avec un type/une nana pareil(le) »

Mais revenons à mes deux protagonistes….J’apprends (en même temps que lui) que la fille en question travaille dans l’administratif…enfin…travaillait…..Oui car une maladie psychiatrique handicapante l’a contrainte à arrêter son emploi. Et pour ma part, ce fût le moment où j’ai arrêté définitivement de faire la conversation à la personne en face de moi. Histoire de voir comment le gars qui était tellement content il y a cinq minutes à peine de rencontrer cette fille « toute nouvelle sur le site internet » allait négocier cette nouvelle. Je sais c’est cruel comme on peut avoir du plaisir à voir les autres se dépatouiller dans des situations que l’on aurait soi-même détestées….Mais je m’en fiche c’est trop savoureux….J’imaginais le type, en période plus que creuse niveau affectif, s’étant tapé 50 bornes pour être le premier à rencontrer ce «nouveau dossier », il a préparé deux ou trois blagues qui ont bien marché précédemment, il est prêt, au taquet et paf….il se retrouve avec une fille qui lui balance que lorsqu’elle ne porte pas sa camisole de force, elle aime se promener en forêt. (oui ok ça c’est moi qui rajoute)
Ça n’eut pas l’air de le décourager, mais il essaye quand même d’en savoir un peu plus sur cette maladie psychiatrique…. Histoire de savoir peut-être si une voix secrète de la CIA lui demande parfois de poignarder pendant la nuit des petits blonds dégarnis dans son genre ?
Rien de tout ça : elle est hypersensible (dans le peloton de tête des maladies psy à la mode, juste après la bipolarité). On est sauvé. Il ne faut juste pas trop lui passer « Autant en emporte le vent » et ça devrait être gérable.
Lui, a eu des relations amoureuses plus au moins fructueuses, la dernière en date lui avait dit quelque chose qu’il n’oubliera jamais et qui l’avait beaucoup touché : « ce n’est pas tes cheveux que j’aime, c’est toi ». Super…une pleureuse, un complexé capillaire, la suite de la rencontre risque d’être savoureuse.
Elle le fût. C’était un de ces moments où tu te dis que tu aurais un dictaphone, tu pourrais enregistrer l’intégralité afin de faire un sketch sur les rencontres internet pourries.
Il ne faut jamais dire à un complexé « tu n’es pas mon type d’homme ».Jamais. Car apparemment, lui il entend « t’es moche »…. A retenir….Notre malheureuse dateuse internet s’y est aventurée, et a eu pour réponse que « cette remarque viendrait d’une super belle fille, je me dirais qu’elle n’est pas dans mes cordes, mais c’est vraiment pas ton cas. Non non, je n’ai pas été vexé par ta remarque. Absolument pas ! »
Sur ce ils se sont levés lestement, ont pris leur manteau et ont disparu. Je suppose qu’il n’y aura pas de deuxième rencontre et le fou rire que j’avais du mal à dissimuler pût enfin s’exprimer.
J’avais toujours pensé que les rencontres internet n’aidaient pas les rencontres amoureuses mais multipliait par 50 le temps perdu à faire semblant d’écouter des inconnus pendant que tu penses à quelles excuses tu pourrais trouver pour t’en débarrasser. Au vue de notre connaissance actuelle « t’es pas mon type d’homme » est à écarter….Utiliser de préférence « j’aimerais bien te revoir mais je viens de me rappeler que tout ma famille vient de mourir dans un accident d’avion, alors ça sera pas possible, tu vois ? »
Ils sont courageux ces gens qui s’y hasardent je trouve. Je me moque mais dans le fond, je les admire. Je ne supporterais pas le quart de ce qu’ils supportent. Plutôt mourir seule sur une ile déserte mariée à une noix de coco que perdre deux minutes de vie à devoir m’intéresser à des histoires sur les implants capillaires. Oui je trouve qu’il y a dans cette quête de l’amour à tout prix quelque chose de profondément courageux. ….un renoncement admirable…. Une foi en la vie que je n’ai probablement pas. C’est sans doute pour cela que j’ai passé ma St-Valentin affalée sur le canapé, avec deux gosses à garder, un chat, du champomy et une histoire très instructive sur la tournure positive qu’aurait pu prendre l’amitié entre Winnie l’Ourson et Coco Lapin, s’il avait accepté de lui prêter son serre livre au lieu de se lancer dans son odieux marchandage «ok je te le prête si tu vas me chercher du miel d’abord ». Coco Lapin a fini piqué et triste. J’ai fini la terrine de volaille forestière et le champomy…
Quand tu es célibataire, tu as toujours des gens qui veulent t’expliquer soit : comment y remédier ou comment tu es mieux comme tu es. Qu’il n’y a rien de mieux que la liberté.
Ces gens là sont en général dans un foyer confortable…Ce sont les mêmes qui disent d’un air snob que la « St Valentin, c’est ringard » ou que « Noël c’est pénible » alors que la seule chose qu’ils ont eu à faire étaient de mettre les pieds sous la table… et oui se plaindre pour rien est un luxe que seul les gens sans problème majeur peuvent se payer.
Il est clair que quand tu as un cancer stade 4, recevoir des fleurs prend un tout autre impact. Je doute que tu trouves toujours cela ringard. Comme retrouver le célibat le temps de week-end prolongé avec une copine n’est pas forcément le bon exemple pour te lancer dans une thèse improvisée sur les bienfaits de la liberté. La liberté est belle certes. Mais elle a un prix. Montrer tes photos devant la tour Eiffel à ton conjoint à ton retour n’en fait pas partie.

Je fais partie des ringards qui appréciaient les fleurs à la St Valentin. On n’a pas besoin d’un jour donné pour en offrir vous répondront certains. Qu’importe, ils ne vous en offrent pas les autres jours non plus. Quelques soirées avec Winnie l’Ourson les aideraient-ils à se remettre les idées en place ?
Accepter le présent, ne pas tomber dans l’apitoiement sur soi-même fait que l’on peut tirer le meilleur parti d’une liberté qui peut paraître au prime abord angoissante. Et il y a dans cette liberté une connaissance de soi qui est inégalable, on est d’accord. Leçon apprise sur le bout du doigt, pas besoin de rafraîchir mes connaissances en la matière. Et oui, la nature humaine fait que l’on veut toujours le contraire de ce que l’on a. On se sent à l’étroit dans une relation, on ne sait que faire de l’espace quand on est face à soi-même, je le conçois.
Cependant, si on pouvait apprécier les beaux moments de l’existence quels qu’ils soient, en s’abstenant de se plaindre la bouche pleine ou de donner des conseils féministes éclairés alors que l’on a pas la première idée de ce que cela implique vraiment, ça serait formidable…Pour moi en tout cas. Et aussi par respect envers la pauvre fille qui a retrouvé son appart vide après avoir entendu d’un demi chauve avec lequel elle avait échangé trois mots sur internet qu’elle était loin d’être un canon, un samedi en fin d’après-midi dans un bar pourri.

Une réponse à to “Tout avait pourtant si bien commencé”

  • Herrmann Genevieve:

    Encore une fois beaucoup de plaisir a te lire! Plaisir ?! entre humour et philosophie grinçante mais tellement vrai ,on peut se sentir mal a l’aise devant tant de lucidité parfois dérangeante.Mais voilà c’est bien toi!Et c’est tellement ça!
    Et j’aime! Amitiés. Genevieve.

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