Into the wild

“Into the wild”, le film sur la liberté par excellence. Je ne l’avais jamais vu. A l’époque où il est sorti je savais que les grandes idées profondes risqueraient de me perturber encore plus que je ne l’étais déjà. Embourbée dans une vie que je ressentais comme une prison sans possibilité de remise de peine, je ne voulais pas voir un type qui me fasse prendre conscience que j’avais une vie de merde (d’ailleurs je le savais déjà) mais qui en plus, avait le courage de suivre jusqu’au bout ses aspirations. Non, la profondeur ne fait pas toujours du bien. Les choses vides de sens et d’intérêt nous conviennent souvent parfaitement. Autrement pourquoi la plupart des buzz sont fait d’écervelés qui nous gratifient de leur pensées stériles sur la vie ? Tout simplement parce que c’est stupide, ça ne demande pas à réfléchir, et ça montre à notre jeune génération qu’il suffit de parler sa langue maternelle moins bien qu’un étranger pour avoir une vie trop géniale et conduire une grosse voiture à Miami. En clair : ça flatte l’idiot qui sommeille en nous.

Donc je n’ai pas vu «Into the Wild » à sa sortie. J’ai bien fait quelques essais par la suite. Le « ouais ben il meurt à la fin » lors d’une discussion animée m’avait définitivement plombé l’envie de le voir. C’est un truc utile à savoir : lors d’une discussion de couple qui pourrait potentiellement mal tourner (donc le 95 % des conversations banales) ne donnez jamais vos projets cinématographies de votre soirée à votre conjoint. Ils n’ont rien avoir avec la discussion mais ils peuvent faire l’objet d’une vengeance. Mes plates excuses également si vous lisez ces lignes et que vous n’avez pas vu le film. Mais sachez que ce n’est de loin pas son attrait principal, et que mince quoi ! Nous sommes en 2013 et vous n’avez PAS ENCORE vu « into the wild » ??

En ce qui me concerne j’ai fini par le voir et j’ai suivi Christopher dans sa quête d’absolu.

Issu d’une famille bourgeoise, tout frais diplômé et destiné à un grand avenir (selon nos valeurs communément admises en occident) Christopher décide de tout plaquer pour aller vivre sans montre ni contrainte en marge de ce qui définit nos bases : maison/travail/conjoint/voiture

Vivre en marge, tout plaquer et ne rien regretter, aspirer à mieux que ce que l’on attend de nous ou à quoi on a assisté étant enfant, jusque là, j’adhère à 300% . Et même si comme lui, je ne me sentirai pas de vivre dans un bus abandonné ou de tuer puis dépecer un renne pour me nourrir, j’ai cependant mis en place dans ma propre vie quelques bases afin de me lancer dans mon propre « Into the Wild ». Vivre dans un 3 m2, déguster mes repas à même le sol devant une télé d’il y a 15 ans, avoir une cuisine qui se résume à un placard, bref à par si c’est pour vivre à côté d’une rivière insalubre infestée par le paludisme, je ne pense pas que j’aurais du mal à changer de vie. J’ai déjà prévu mon futur déménagement pour l’inconnu avec mon voisin albanais du dessus en lui disant ceci : vous me prenez tout ce qu’il y a et vous l’emmenez à la déchetterie la plus proche.

Oui pour être sûre de ne pas m’empêcher de bouger pour de mauvaises raisons, j’ai fait de mon appartement un endroit tellement improbable que je n’ose même pas y convier le réparateur de store. Telle une réfugiée en situation irrégulière, une usurpatrice,  je m’attends à partir du jour au demain, ma valise sous le bras. Heu mes 13 valises sous le bras….. Je ne suis pas matérialiste mais je suis vestimentaliste. Je verse une larme à chaque fois que je dois me séparer d’un des mes habits. J’en suis incapable. Une fois j’ai lu tout ce que l’on ne porte pas depuis au moins un an, on devrait s’en débarrasser. J’ai appliqué ce conseil judicieux. Je me suis forcée à porter des choses qui ne m’allaient plus ou complètement démodées au moins une fois dans l’année afin de me prouver que j’avais bien raison de les laisser saturer mon armoire (qui n’est guère plus grande que la cuisine).

Ayant passé tellement de temps en thérapie que j’aurais tout aussi bien fait de passer un doctorat je n’ai pas de mal à comprendre que je m’efforce de ne m’attacher à rien, mais que ce qui me touche de trop près (et qu’est-ce qui nous touche de plus près que les habits finalement) je ne peux plus m’en détacher.  J’arrête là la psycho bon marché. Parce que si mes nombreuses années de psychothérapie m’ont bien appris une chose, c’est que de savoir pourquoi on agissait d’une certaine manière était certes très intéressant et utile pour le chantage affectif avec vos parents (« oui si je rate ma viiiie c’est de votre faaaaute ») mais que la compréhension de nos tares n’étaient d’aucune utilité pour les résoudre. En gros c’est aussi probant qu’un garagiste qui te dit que ta voiture n’avance plus parce que ta pompe à eau a lâché et qui se barre en te laissant en rade sur la route, non sans t’avoir souhaité une excellente journée. Un garagiste tu l’insultes, un psy tu le trouves intelligent et tu prends rendez-vous encore et encore pour faire plein de découvertes qui ne servent à rien, à part de savoir que tu as de bonnes raisons d’être comme tu es. Donc tu rentres chez toi, tu te mets du Lana Del Rey et tu te tires une balle. Je n’ai jamais essayé de me tirer une balle mais je pense que Lana Del Rey et son côté « tout est grave mais finalement pas tant que ça puisse que l’on va tous mourir », s’y prête particulièrement bien.

Avec mon envie de prendre le large et mon aversion totale pour le lieux communs censés rendre notre vie acceptable, j’étais le prototype même de la personne qui devait aduler Christopher, prendre des notes pendant tout le film et m’acheter le lendemain « les plantes comestibles pour les nuls », étant donné que son livre à lui s’est avéré peu adapté pour un néophyte.

J’ai au contraire eu envie de lui tirer des claques dès les premières minutes du film.

Il part parce qu’il ne veut pas faire comme tout le monde, il ne veut pas suivre l’exemple de ses parents et de leur mariage calamiteux auquel ils n’ont pu se résoudre à mettre un terme, dégoûtant définitivement leurs enfants de toute vie de couple et familiale, d’accord….mais bienvenue dans le triste constat de la bonne moitié de cette planète : nos parents nous vaccinent de passer devant le maire dans le meilleur des cas, de tout ce qui peut ressembler de près ou de loin à une vie de couple dans le pire.  Et l’autre moitié de la planète me direz-vous ? Et bien ils ont la chance d’avoir des parents divorcés et l’immunité pour se plaindre des préjudices rencontrés. Vous ne faites jamais le poids avec des enfants de divorcés. Ils ont double chambre, double vacances, des parents à leur petits soins qui ne sont pas soulés de les voir tous les jours, des parents qui ne veulent pas gâcher le précieux temps ensemble à leur chercher des poux, MAIS…. leur foyer a été brisé, c’est une créance à vie. Si le vôtre a été maintenu, coûte que coûte, à bout de bras, mais que vos parents sont restés ensemble, vous ne faites pas le poids sur l’échelle des enfances qui craignent, même si vos arguments sont en béton, il faut le savoir.

Mais revenons à Christopher…..Pour ne rien améliorer à sa vision, lucide certes, mais radicale du monde qui nous entoure, il se nourrit (à part des plantes toxiques) de grands auteurs dépressifs et alcooliques, qu’il lit pompeusement avec des lunettes de lecture ce qui, à moins de 45 ans est complètement inutile et lui donne un air intello prétentieux.

 La plupart des mariages sont à l’image de celui des parents de Christopher : on reste ensemble par peur, par habitude, par commodité, par ce que l’on croit être de l’amour, rarement parce que l’on est heureux (ou alors les nombreux exemples que j’ai eu sous les yeux cachaient leur épanouissement de manière magistrale) ; et oui, les auteurs dépressifs avaient toutes les raisons de l’être, la sensibilité dans la perception du monde n’étant pas le chemin le plus court pour être heureux mais plutôt celui pour la boite de barbituriques.

Mais est-ce que l’on peut se contenter de fuir l’amour ou les relations humaines parce que tu as lu ou vu que ça faisait souffrir ? Non. Tu dois comme tout le monde, te manger le bitume. C’est un rite de passage. Après tu dis ce que tu veux. Après, tu te plains, après tu expliques que l’on ne t’y reprendra plus… Après, pas avant. Autrement ce n’est pas juste. Ce n’est pas juste pour tout ceux qui ont cru ou fait semblant de croire qu’ils y arriveraient mieux que les autres et qui payent lourdement leur prétention en se mettant bêtement à pleurer lorsqu’ils font la vaisselle parce qu’ils se rappellent en lavant une casserole qu’ils ont le cœur brisé. Oui parce que l’on ne pleure jamais sur le moment, on ne pleure jamais quand on reçoit le coup, on pleure toujours pendant des trucs qui n’ont rien à voir avec ce qui nous touche et on se trouve pathétique à souhait.

C’est des moments où comme tes parents que tu juges durement (ça sert à ça des parents) tu te rends compte que face à certains événements de la vie, la théorie est belle mais que la pratique en est une autre, tu apprends l’humilité et ça ne fait pas de mal….

J’ai passé sur mon envie de lui tirer des claques pour avoir, malgré son jeune âge, tout compris à ce que le commun des mortels mettent toute une vie à comprendre ou ne comprennent jamais, que ce n’est pas en vivant une vie toute tracée de contraintes, en étant adapté mais malheureux que tu quitteras cette terre le cœur léger avec le sentiment de ne rien avoir à regretter.

J’ai ravalé ma jalousie de ne pas avoir moi aussi pris ma voiture un beau matin en laissant mes clés d’appartement à l’albanais du troisième étage sans autre explication.

J’ai admiré son courage, sa détermination et je me suis dit que, certes, m’attachant bien malgré moi au lien invisible du cœur, mon « Into the Wild » à moi serait sans doute moins extrême, mais obstiné et passionné, ça oui, je saurais faire.

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