Le Cercle
Les églises c’est ringard. Ça nous ramène à des périodes sombrent de notre histoire où un Dieu omniscient profondément en désaccord avec nos vies de pêcheurs nous envoyait rôtir en enfer pour la moindre petite incartade.
Depuis on a fait du chemin. Pas que l’on ait arrêté les incartades bien au contraire mais, plutôt que d’aller se confesser, on paye des psys très chers afin de comprendre pourquoi on les fait (ce qui peut être très long et peu fructueux mise à part pour le psy). Et pour les moins chanceux, on se lance dans des thérapies comportementales qui comme son nom l’indique mise sur notre comportement, afin de déjouer le mécanisme de nos mauvaises habitudes. Par exemple, une de vos mauvaises habitudes est que vous avez une envie fâcheuse et persistante de vous débarrasser de vos enfants à chaque fois qu’ils vous courent sur le fil à savoir : tout le temps.
La technique de la thérapie comportementale est de noter la situation en la décortiquant en plusieurs points :
-Le contexte (par ex : mes enfants sont nés insupportables et agaçants, c’est génétique, cela vient de ma belle-famille)
-Ce que l’on ressent (l’envie de les laisser sur une aire d’autoroute 24h/24)
-Comment on a réagi (j’ai essayé de le faire mais ils reviennent toujours, c’est vicieux les enfants)
-Comment on aurait pu mieux réagir (en choisissant, il y a 10 ans, le gars très bien qui est maintenant cadre dans une banque plutôt que mon looser de mari juste bon à engendrer des hyperactifs)
Une fois que vous avez noté tout cela, je n’ai aucune idée si cela soigne mais, ce que je peux dire, c’est que c’est tellement long et fastidieux que vous aurez oublié ce pourquoi vous étiez énervé à la base.
Donc je disais, le Dieu punitif n’est plus à la mode. Aujourd’hui on est plus dans l’aire du psy ou alors d’un dieu qui nous aime tellement qu’il a beaucoup de choses à nous dire. D’ailleurs le rayon ésotérique des librairies regorge de gourous en tous genres qui pensent réécrire l’évangile à chaque fois qu’il leur vient une banalité. Leur créneau général c’est qu’en gros que si t’as une vie de merde, c’est un peu de ta faute figure toi…. C’est parce que tu n’as rien compris à la visualisation, aux attentes positives et à la loi de l’attraction. Tu n’y mets pas du tiens….. Tu dois visualiser toutes les bonnes choses qui vont t’arriver et envoyer de l’amour. C’est pour ça que les gazelles sont des pives… Elles n’ont pas lu « le secret » de Rhonda Byrne, ne comprennent pas qu’il faut visualiser une discussion constructive avec le lion et s’imaginer Reine de la savane, du coup : elles se font bouffer. Que c’est con une gazelle.
A ceux qui n’ont pas lu « le Secret », c’est un livre très utile et qui me sert tous les jours pour poser mon ordinateur portable dessus, lui évite de surchauffer et que j’ai des problèmes de nuque.
Dans ces bouquins on nous apprend aussi que l’on est tous médium. Je n’en disconviens pas. Cependant ils oublient un peu de préciser que c’est comme tout dans la vie, on n’est pas égaux. C’est salaud mais c’est une donnée de base dans notre condition humaine. Non, on n’obtient pas tout, même en travaillant obstinément, si on n’a pas un minimum de don à la base. Quand il suffit à certains de se concentrer trois minutes pour jouer à « radio au-delà », d’autres passeront des années de méditation assidues pour finir par se demander si les picotements qu’ils ressentent dans le petit doigt n’était pas le signe de la présence de leur cher disparu. Non, ce n’est pas un signe. Ça s’appelle «rester trop longtemps dans la même position » et c’est le début d’une crampe….
Brassens disait que sans le travail le talent n’est rien qu’une sale manie. J’ai envie d’ajouter que sans talent, le travail nous rendra au mieux acceptable, jamais exceptionnel. Si vous n’êtes pas exceptionnel au piano, c’est pénible pour les voisins mais pas tragique (sauf cas rares de défenestration suite à l’exécution de la « lettre à Elise »). Si vous n’êtes pas un médium exceptionnel et que vous êtes persuadé que Jésus veut dire à votre amie Suzanne que son mari la trompe impunément avec sa secrétaire (on manque toujours cruellement de classe et de fantaisie dans la tromperie, c’est bien connu), là les conséquences peuvent devenir tout de suite plus fâcheuses.
J’aurais dû réfléchir à tout cela avant d’accepter de participer à une réunion dont on m’avait dit grand bien. Le Cercle. Non mais j’ai pensé à quoi en acceptant?? Rien que le nom…. J’aurais dû me douter de l’embrouille. Le Cercle… forcément que dans un lieu pareil, si on ne termine pas tous à se faire harakiri pour partir sur Syrius dans le pire des cas, dans le meilleur les trois quart des participants trouveront cet endroit bien plus confortable que leur cellule à l’hôpital psychiatrique.
Vu que j’écris ces lignes, on comprendra que je ne suis pas partie sur Syrius. Mais je crois qu’à choisir : j’aurais préféré. Parce que les participants, comment dire… exaltés, ça j’y ai eu droit.
Avant de continuer, je tiens à dire à ma décharge qu’avant de me proposer cette réunion on m’avait trouvé de grandes capacités médiumniques qu’il fallait travailler. Schopenauer avait raison : la flatterie restera encore et toujours le meilleur moyen d’arriver à ses fins.
30…. On était 30 dans ce fichu cercle. Pour le côté intime on repassera. Une angoisse me vient. Le dernier medium qui a channelisé (parait-il) ma grand-mère m’a délivré le message suivant de sa part : « Dites-lui qu’il ne faut pas qu’elle pleure, on n’est pas des lavettes chez nous. On n’a pas besoin des hommes, dites-lui ça aussi ! Moi si j’avais pu, j’aurais fait partie des femens. Même avec les seins qui pendent ! Rien à faire ! ». La gêne de cette révélation m’a, sur le moment il est vrai, fait cesser tout envie de pleurer.
J’adore ma grand-mère mais je ne me sentais pas tellement d’humeur dans ce Cercle à parler féminisme et wonderbra….
Cependant je compris bien vite que, aux vues du talent des nombreux mediums en herbe, mes craintes étaient pleines de prétentions non-avenues.
Tout commence par une méditation. Vous vous imaginez près d’un arbre, tout est calme, vous redonnez à mère nature tous vos soucis. Il suffit de dire le mot « soucis » pour qu’ils viennent vous danser devant les yeux les uns derrière les autres…. Des gens rencontrent durant ce voyage par la pensée des membres de leur famille, Merlin (il y a des gens très cultivés pour savoir à quoi Merlin ressemble. Ma culture se limite à Merlin l’enchanteur créé par Disney), tout le monde semble vivre des choses fascinantes. Apparemment je suis la seule qui ne rencontre que ma liste de courses du lendemain. C’est fou ce que s’efforcer d’être calme peut être énervant.
Une première médium se lance. Elle a le contacte. Un italien, paysan. Le jeu est de retrouver à qui parmi l’assemblée présente appartient ce mort. La seule italienne des nôtres ce soir-là se dévoue pour laisser entendre que cela pourrait être son grand-père. Le mort est bavard, il ne faut pas vendre son terrain qu’il a gagné à la force du poignet et il est très déçu de ne pas être enterré auprès de sa femme. Je me fais la réflexion que les morts semblent avoir des choses aussi peu intéressantes à nous dire que les vivants, et que si ça continue comme cela, la soirée risque d’être longue. Perdu, se fût pire. L’italien reconvertit en magnat de l’immobilier dans l’au-delà bien qu’inintéressant sera le meilleur contact de la soirée. En tout cas le plus probant.
Une nonne pointe le bout de son nez. Elle semble appartenir mollement à une participante très peu emballée par ce contact. Puis les faits sont plus précis. Elle avait un don de guérison, qu’elle a transmis à sa descendante présente parmi nous, elle l’exhorte à accepter l’amour « tu donnes trop aux autres, accepte toi aussi de recevoir » est le message général. Alléchée par tous ces compliments, la mémoire revient brutalement à la petite nièce indigne. Une nonne ? Mais bien sûre qu’elle en a une dans sa famille, elle a d’ailleurs une photo qu’elle se fera une joie de nous faire partager les fois d’après. C’est tout ce qui manquait à ce Cercle. Des photos jaunies et captivantes de nonnes mortes il y a des lustres et dont tout le monde se fout complètement. Ne comptant pas réitérer l’expérience, j’aurai la chance d’y échapper.
Je trépigne, d’autres morts feront leur apparition. Un autre médium ressent un enfant. Ça dit quelque chose à quelqu’un ? oui ? non ? Non…. Un enfant mort brutalement dans un accident (c’est fou cette manie que les enfants ont de ne pas mourir de vieillesse), cela ne dit rien à personne ? Non toujours pas…. La maîtresse de cérémonie rebondit, si ça ne dit rien à personne, c’est sûrement que quelqu’un dans l’assemblée rencontrera prochainement à qui est destiné le message. Ouaaah. Cette dame est un chat qui retombe toujours sur ses pattes.
Et le message de l’enfant en question me direz-vous ? (oui car ce n’est rien de contacter, encore faut-il avoir quelque chose à dire) Et bien c’est un peu flou. On est tellement occupé à chercher à qui pourrait appartenir le mort que finalement, ce qu’il a à dire est secondaire… Quand on ne trouve pas (ce qui arrivera bon nombre de fois) on passe au mort suivant, on se raccroche à tout ce que l’on peut, «j’ai un comptable qui lit le journal le dimanche matin », même les descriptions les plus généralistes qui pourraient concerner le 80% des gens ne semblent trouver preneur.
C’est interminable foire fouille au mort se termine enfin. On finit par un tour du cercle où l’on doit expliquer ce que l’on ressenti. Et tout y passe, le moindre picotement à des endroits divers et variés semble être un signe divin. Je suis la seule qui n’a rien ressenti, mise à part un agacement certain. Non je n’ai pas eu plus chaud à une main qu’à une autre. Non ma poitrine n’a pas semblé se gonfler sous des tonnes d’amour et non je n’ai pas l’Archange Michaël qui m’a chanté la cucaracha dans l’oreille, non, non, non. Est-ce moi qui suis bornée où les autres qui sont complètement frappa dingues, la question reste ouverte.
Je rentre chez moi sonnée par le spectacle auquel j’ai assisté. Car contrairement à ce que ces lignes pourraient faire penser, je fais partie des convaincues de la survivance de l’âme à notre vie terrestre et j’ai eu suffisamment de manifestation de la présence d’un aide à mes côtés (plus connu sous le pseudonyme d’ange gardien) pour ne pas mettre en doute le bienfondé du mouvement ésotérique dans son ensemble. Mais face à un tel fiasco je ne peux que me dire que si l’au-delà reste et restera certainement toujours mystérieux, les participants à ces rassemblements seront malheureusement toujours les mêmes. Des égarés, des égomaniaques, des personnalités mercantiles peu scrupuleuses cherchant une clientèle prête à croire n’importe quoi.
J’imagine mon ange gardien dans tout cela, avec des pop-corn et lunettes 3 d, ayant invité d’autres potes gardiens au chômage en leur disant ceci : «Je vous jure. J’ai tout mis en place pour qu’elle participe à ce truc. La connaissant, elle va détester, quand elle est en boule elle a plein d’idées….. et nous, on va bien se marrer. »