On était le 24 décembre

et j’avais décidé de passer une super journée. Je n’ai jamais été une grande fanatique de Noël, mais depuis quelques années, j’ai découvert qu’il était franchement plus économique psychologiquement de faire comme tout le monde, plutôt que de m’évertuer à y opposer une résistance par principe. J’ai déjà assez à faire avec nouvel-an, on ne peut pas être contre tout, c’est exténuant. Mais avouons que Nouvel-An, mise à part si on aime particulièrement la compagnie de gens avinés qui vous hurlent dans les oreilles « bonne année » parce que c’est trop cool c’est la nouvelle année et que contrairement à d’habitude ils savent quoi dire, c’est fatiguant.

Donc j’avais décidé que je trouverai Noël merveilleux et que ma journée commencerait en fanfare par une dégustation de pancakes dans endroit spécialement sélectionné par deux bloggeuses américaines qui avaient créé un site sur tous les bons-coin de ma ville. J’y ai trouvé en prime tout un tas de bars et autres restaurants branchés dont je n’avais jamais entendu parler. Ils sont forts ces américains. Et ça en dit malheureusement long sur ma vie sociale trépidante.

La ville en ce matin de réveillon était calme, je parquais donc ma voiture en face du restaurant, royale, le parc était vide. Arrive une jeune femme, cheveux lissés/cramés,  l’air intelligent d’une star de télé-réalité, collée à son volant, ayant pour passager un caniche et prenant mille précautions pour effectuer sa pré-sélection sur une route déserte, pour finir par se parquer…juste à côté de moi. C’est un grand classique. Seul dans un parking, vous êtes sûre que le con qui ne supporte pas la solitude, il est pour vous. Ce principe s’applique également au cinéma et à la plage. Ma question est toujours : après combien de temps est-il acceptable de changer de place et montrer de par le fait à quel point ce rapprochement forcé nous fait plaisir ?

Là j’avoue, je n’ai pas attendu beaucoup pour déplacer ma voiture. Ni pour que le «mais quelle truffe !!!! Le parking est VIDE !!!! » se voit sur mon visage.  Je l’ai vue se mettre à parler à son chien de manière frénétique. Et elle a continué de lui parler, en deux langues, pendant qu’elle attendait derrière moi à l’horodateur. Quand je lui ai entendu dire pour la 3 ème fois « les gens sont fous je te jure », j’ai fini par comprendre que « les gens » en question, c’était moi.

On aime rarement se faire traiter de fou. Je ne fais pas exception.  S’en suis une conversation un peu surréaliste où, sans arriver à ce qu’elle me regarde, j’essaie de lui expliquer qu’en gros elle a tort, et que j’ai raison, et qu’en plus ma manœuvre lui facilitait la sortie de son véhicule. Il va s’en dire que ce dernier argument était archi-faux. Je me fichais totalement qu’elle sorte facilement de sa voiture. Mais parfois, quand on fait un brin de morale aux gens, il est bon de mettre son côté altruiste en perspective afin de faire passer en douceur son autoritarisme. Toujours en s’adressant à son chien et non à moi,  je crois entendre « oui mais moi je m’en fous ! Et ce n’est pas comme si elle était neuve ».

La vérité sort de la bouche des gens qui tiennent une conversation entière avec leur chien. Ma voiture n’est pas neuve, je n’en ai donc par analogie rien à faire si on me colle et on  me l’explose à coup de portière et de caniche. Moi-même parfois, si j’ai la flemme de chercher mes clés pour l’ouvrir, je mets un bon coup de marteau dans la vitre et c’est réglé. Arrêtons d’être si matérialiste, svp.

Elle a continué son monologue que j’ai ponctué par des « ah ah  oui… c’est ça… voilà… » dans le genre « parle toujours je n’écoute pas» tout en partant. Puis j’ai entendu «  Joyeux Noël quand même » avec un visage tout sauf joyeux.

On avait eu une conversation tellement enrichissante et plaisante que je me demande pourquoi j’avais omis de lui souhaiter un joyeux noël. Où sont mes manières ? Il est vrai que c’est écrit dans la Bible et l’Ipad du Père-Noël qu’il faut être gentil avec tous les tarés de la création qui vous agressent gratuitement et leur souhaiter en prime un « Joyeux Noël ».

Aucune importance, les pancakes allaient me réconforter. Ça aurait été le cas j’en suis sûre si le tenancier n’avait pas décidé de faire continuer ma journée sur le même mode que la folle au caniche l’avait faite débuter….en fermant son établissement.

A la place de mes merveilleux pancakes, je me suis retrouvée dans le bistrot d’à côté, qui lui n’avait pas pour ambition de se retrouver répertorié sur un site d’américaines tendances, mais plus comme un repère de recalés aux réunions des alcooliques anonymes. C’était d’un glauque. Un petit vieux l’air lubrique vient s’asseoir à côté de moi avec son ballon de blanc, me prétendant que c’est le seul endroit d’où il pouvait surveiller sa femme actuellement chez le coiffeur. Il me fait un clin d’œil. On m’amène un croissant qui semble avoir été utilisé pour essuyer le bar, je décide d’arrêter là la douleur en me passant de petit-déjeuner et de vite faire un crochet par mon magasin de thé afin de faire la traditionnelle course inutile de dernière minute pour combler l’angoisse. Il y en a toujours une.

Dans la grande fraternité de ceux qui comme moi ne semblaient pas lassés de s’être tapés les magasins bondés ces dernières semaines, il y avait un couple qui écoutait passionnément la vendeuse au look altermondialiste leur expliquer en détail sa commande de thé spécial qu’elle avait fait en Inde et qu’elle recevrait « quand les planètes seraient bien alignées ». Ce qui l’embêtait beaucoup car elle ne savait pas quand ce serait, le Yogi en charge des calculs n’ayant pas jugé bon de lui en dire plus. Les Yogis ne sont pas réputés pour être de grands bavards, pas autant que cette vendeuse en tout cas….

Comprenant que c’était parti pour durer je me replie vers le second vendeur. Aucune commande savante en Inde en ce qui le concernait. Non, par contre, il était occupé à faire sentir les trois-quarts des thés de son magasin à une maman accompagnée de sa fille et qui voulait « un thé de Noël. Oui c’est bien mais je n’aime pas la vanille…. » et s’adressant à sa fille « et toi, celui-là ? Comment tu le trouves ? Ah tu n’aimes pas le girofle… Ah ben alors…. Comment on va faire ? »

Je n’avais aucune proposition probante à faire mise à part qu’elle prenne n’importe lequel et qu’elle dégage vite fait avant que je ne tente une strangulation.

Il y a parfois des comportements qui vont à l’encontre du bon sens. Tu vois le drame à des kilomètres, tu sens l’odeur de l’iceberg, tu mets du Céline Dion en sourdine et tu accélères… pour terminer ma journée en apothéose, je fis ce qu’aucune personne ayant une structure mentale saine n’aurait fait, je suis allée dans un magasin de jouets…. Hérédité suicidaire certainement mais il me restait un cadeau à faire pour mon neveu, il avait fait une jolie carte colorée avec des dessins, adressée à « Cher Père Noël ». Mon neveu ne croît plus au père-noël depuis bien longtemps mais il a dû penser que, niveau marketing, son message serait plus porteur en s’y prenant de la sorte.

Je commence à regarder dans les rayons, quand je vois deux vendeuses, cherchant désespérément à éviter le plus possible mon regard et ma question potentielle. Puis je les entends dire « hey dire que les vacances commencent demain. Il y aura plein de gosses. On va déguster ! ». Pour mémoire on récapitule où travail cette dame : dans un magasin de jouets. Je peux comprendre que les gosses puissent être un miracle que l’on savoure à petite dose, ça oui.  Mais quand on ne les supporte pas du tout, travailler dans un magasin de jouets… comment dire… ce n’est pas l’endroit rêvé pour les éviter à coup sûre.  Il vaut mieux vendre des godemichets au sex-shop du coin. Là normalement, pas de gosse à l’horizon.

Je finis par en attraper une. J’ai à peine le temps de dire ce que je cherche que sa réponse fuse « tout est en rayon madame ».

C’est comme cela dans les magasins maintenant, si vous osez déranger une vendeuse on vous répond « tout est en rayon ». Car on part du principe que vous êtes bonne élève, que vous avez bien regardé partout avant de la poser votre question à la con. Donc si vous ne trouvez pas, il n’y a pas…. Vous n’auriez quand même pas osé jeter un regard furtif puis, demandé assistance comme une grosse flemme ?

Je me justifie par un  « euh oui mais je n’ai pas trouvé » qu’elle balaye lestement par un  « Je ne vais pas trouver mieux que vous… » . J’ai essayé de lui expliquer que comme elle travaillait dans le magasin, j’espérais pour elle qu’elle s’y connaisse mieux que moi, mais j’ai fait un bide. Elle est partie avec ma lettre au père-noël orange pétante et est revenue en me disant « on n’a pas. »

Il y a un moment, dans une vie, quand le défi est trop ambitieux et l’échec inévitable, le mieux est de l’accepter afin d’avancer. Faire le deuil de sa journée de réveillon féérique et de ses panneaux de signalisation playmobile. Car Noël est une période de décompression où toutes les névroses et autres frustrations accumulées tout au long de l’année se sentent libre de s’exprimer. Que ce soit à coup de caniche ou en suppliciant un vendeur de thé.

On était le 24 décembre et j’avais décidé de passer une super journée…..

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