Le syndrome « mon incroyable anniversaire »

Il y avait une émission de téléralité sur MTV qui s’appelait « My super sweet sixteen », traduit en français par « mon incroyable anniversaire ». J’avertis, le concept est à baffer : des enfants de riches célébrités se préparent à fêter leurs 16 ans. Le déroulement se passait toujours de la même manière à savoir : le choix du cadeau, voiture ou bijou, que le parent riche et célèbre refuse d’acheter prétextant que c’est trop cher (la vie peut être parfois dure, il faut faire avec), puis la fête s’organise mais tout semble aller de travers, Rihanna n’a pas confirmé son show privé, la robe/costume chanel n’est pas encore arrivé de chez le couturier, en gros un drame total et parfois il y a des larmes. Puis sur les 1500 amis proches participants à la fête, quelques-uns sont interviewés et font leur pronostiques sur le déroulement de la soirée « je pense qu’il va y avoir Radiohead », « il va faire son arrivée dans un hélicoptère » bref on sent que ça va être trop génial et on est complètement conquis devant notre poste de télé payable en 24 mois. La soirée se déroule, le cadeau convoité mais refusé par le petit farceur de parent sera finalement offert, la fête au dire des amis était « trop mortel », «la soirée du siècle », bref des phrases élaborées pour exprimer le contentement.

Et bien évidemment, dans chaque épisode, on peut découvrir des personnalités riches et profondes capables de disserter sur notre monde et leurs idéaux, sur notre présence sur terre et le sens profond de la vie. Que dalle, tous affligeants, d’une vacuité à faire peur, pensant que leur simple existence est un ravissement et que tout, absolument tout, doit et va continuer de tourner autour de leurs désirs et moindre caprice.

Parfois j’ai l’impression de vivre le cauchemar de « mon incroyable anniversaire » dans ma vie. J’avais déjà supprimé mon inscription sur Facebook à cause de cela, du vide, de la frime, de l’égo à tout va, souvent exprimé sans classe et sans humour à grand coup de selfie à la foire à la saucisse. Et personne n’en a rien à faire des « posts » des autres, mise à part les incorrigibles cliqueurs « thumb up » de statuts, lesquels cela dit seraient capable de mettre « j’aime » à une phrase du genre : «Je suis parti en vacances et suis revenu avec le sida 🙁  Soit les gens que l’on rencontre dans les boîtes de nuit ne sont pas sûres, soit je ne maîtrise pas aussi bien l’anglais que je le pensais». Oui ce genre de statut est possible. Un de mes « amis » avaient posté un statut qui disait ceci : « Bon voyage dans les nuages grand-maman ! ». Pensant que sa grand-mère n’avait pas prévu de faire une mission spéciale pour la NASA, j’en ai donc déduit que c’était une phrase directement sortie des « métaphores pour les nuls » pour dire que sa grand-mère était morte. Tellement stupide que ça en devient presque de l’art finalement. Et pour faire dans le glauque total je suis tombée dernièrement sur Youtube sur l’enterrement d’un nouveau-né filmé dans son intégralité. Et non, je n’ai pas tapé : «enfant mort» dans ma recherche. J’étais en quête d’une vidéo marrante d’un petit gamin qui fait un caprice, pleure devant sa maman et dès que cette dernière se déplace et ne le voit plus, il arrête de pleurer, la cherche et, quand il a son regard, se laisse tomber théâtralement en pleurant Il répètera ce manège 3 fois de suite.

Je ne l’ai pas trouvée mais j’ai appris qu’une mère suffisamment barrée avait été capable de filmer puis poster sur internet l’enterrement de son propre enfant. Elle avait mis aussi une petite description sous sa vidéo, qui expliquait combien de temps son enfant avait vécu et répondait des «thank you» à tous ceux qui jugeaient bon d’écrire des condoléances en guise de commentaire…. Et cette vidéo n’était pas unique. Il y en avait des 10 aines du même genre. Donc oui, tout est possible. Et le vide s’exprime de toutes les manières même les plus abjectes. Communiquons à outrance, attirons l’attention coûte que coûte et si ce n’est pas avec l’album des vacances aux caraïbes car le budget est trop serré cette année, ça sera le selfie avec mamie sur son lit de mort.

Les personnes que je suis amenée à côtoyer en ce moment (de gré ou de force) n’en sont pas à exhiber leur mort. Mais semblent trouver que le bonheur ultime est atteint lorsque les vacances au bout du monde sont bookées (de préférence dans un pays pauvre où tu te sentiras toi le roi du pétrole) ou que le crédit bateau est signé, ne serait-ce que pour inviter les amis à boire des bières à 20 mètre du port. Leur saison préférée est l’été car ça donne la possibilité d’improviser à foison sur le fait que le beau soit enfin là et que ce n’est pas trop tôt. En plus ils peuvent faire des comparaisons avec la météo de l’année précédente.

Ils sont dans le rang, bon chic bon genre au travail et, pour se défouler, aiment participer à des festivals où tu paies une blinde pour exotiquement manger le cul dans l’herbe ou à 20 sur un banc et avoir les cheveux qui puent le poulet tandoori, le tout entouré de gens trop stylés et bien éduqués, passionnés de bière bon marché, qui te hurlent à la tronche le fameux riff des White Stripes tout en finesse.

Ils aiment les barbecues et leur fumée noir dans lequel ton futur cancer peut te faire des coucous, les plages bruyantes où tu as une chance sur deux de te prendre un ballon perdu dans la figure, les apéros terrasses avec plein d’amis avec lesquels ils n’ont pas grand-chose en commun sauf peut-être le goût du selfie « duck face » joues contre joues, qu’ils pourront poster sur Facebook en montrant à quel point leur vie est trépidente.

 Oui il semble y avoir une recrudescence de gens pour qui le vide est une condition sine qua non, un standard, le but à atteindre. Mais le plus perturbant dans tout cela, c’est qu’il semblerait bien que ce soit eux les plus adaptés à notre monde actuel.

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