Tu fais comme tu veux

Ma voiture m‘a claqué dans les doigts. Enfin plutôt sous les pieds. Une sombre histoire d’embrayage qui, un jour, s’est mis à faire du bruit. Comme ça. Sans crier gare. En bonne fille que ne se fait pas confiance dans les affaires connotées « masculines », je demande d’abord l’avis de mon père. Lequel essaye ma voiture puis dit, en me regardant de son socle d’où il m’observe : « j’ai dû vraiment tendre l’oreille pour l’entendre ton « bruit ». Aucune idée de ce que c’est. Mais non, on ne peut pas « remettre de l’huile dans un embrayage » voyons ! Si vraiment tu insistes, j’irai voir mon garagiste, mais là franchement…..C’est rien du tout.»

On est d’accord, proposer de remettre de l’huile était totalement néophyte de ma part mais sur le moment, ça m’a paru incroyablement malin.

Malgré tout, je décide de ne pas en rester là et de me renseigner un peu plus loin auprès d’un gars un peu plus calé dans le domaine que mon père qui connait plus le répertoire de Mozart que le sommaire d’Automoto.

« J’ai un bruit quand j’appuie sur ma pédale d’embrayage, ça fait scroutch, scroutch et parfois dzi dzi »

« Scroutch scroutch et dzi dzi ?  butée d’embrayage…. » (les hommes aimant la mécaniques ne sont jamais connus pour leur rhétorique)

« Une butée d’embrayage ? mais ça veut dire quoi ? J’ai quoi comme marge avant de me trouver sur le bord de la route ? quelques jours ? »

« Oh non non. Tu tiens un moment avec ça…»

Fin de la discussion. Je tape « butée d’embrayage » ainsi que mon modèle de voiture sur mon ami youtube. Oui car tout le monde n’est pas comme moi et se contentent de dire « quelle grosse merde cette voiture » quand un truc du genre leur arrive. Ils filment, postent sur youtube, échangent sur le sujet.

Un des gars ayant posté une vidéo écrit ceci : « J’ai ce bruit depuis un an sur ma voiture. Butée d’embrayage ? ». What ? un an ?? On récapitule. Son bruit, mon bruit=notre bruit. C’est totalement pareil et il a tenu un an avec cela. Ma vie s’éclaire. Il y a donc un bon Dieu, une âme charitable, une force invisible qui a pensé à moi afin de ne pas m’affliger l’affront de me retrouver sans voiture et devoir me déplacer en transports publics.

Car les transports publics c’est pratique, c’est l’avenir et on va tous s’y mettre, mais, pour paraphraser Gabrielle Solis (Desperate Housewives) dans un autre contexte « Chérie, ça c’est que l’on dit aux pauvres pour ne pas qu’ils se soulèvent ». Les bus, le métro et tout ce qui est public en général, ça craint ! Si t’as les moyens, tu prends ta voiture. La dernière fois que j’ai pris le bus j’étais à côté d’un jeune en réinsertion qui vivait des trucs trop affreux dans sa life, dans son job et qui demandait conseil par téléphone de l’aide à son maître de stage ? assistant social ? gourou ? dealer ? qui ne semblait pas comprendre à quel point c’était du sérieux. 10 minutes à me taper des phrases du genre « mais tu ne te rends pas compte comment ils sont, tu crois toujours que c’est moi le pénible de l’histoire (ndlr moi aussi je le pensais) mais ce n’est pas vrai, tu as un parti pris » « mmm mmm mmm » « et comment je fais, moi, avec mon expression des affects vis-à-vis d’autrui hein ? »

Psychologie magazine n’a pas que du bon à ce que je vois. Maintenant on ne tire plus la gueule ! on a un problème d’expression des affects vis-à-vis d’autrui, quelle progression. Le vocabulaire est choisi, mais le mec, pas vraiment. Une pleureuse, un je-sais-tout qui a dû faire sa princesse et expliquer à tout le monde l’étendue de sa science ainsi que toutes les denrées alimentaires auxquelles il était allergique. Les autres ont dû décider que c’était un chieur, à raison, et ne plus lui parler. Et maintenant lui, il a des problèmes avec ses affects.

On a plus le droit de frapper les gens pour les aider à évoluer et, accessoirement, à ne plus se tourner autour du nombril et penser que tous les problèmes viennent des autres ? Dommage.

Mais revenons à ma voiture. Que disait Youtube ? Une année avec une butée d’embrayage ? Dans mon cas en une semaine se fût réglé. Plus besoin d’analyser le bruit et les symptômes quand vous avez l’impression de vous retrouver à Bagdad en mettant votre voiture en marche.

« Mais ces nanas… L’embrayage lâche et elles foutent loin la bagnole, non mais n’importe quoi » fût encore une réflexion de mon entourage masculin (lequel, à en juger de par cet événement, commence à être un peu trop présent et bavard)

«Tu ne connais pas Jacky? Super mécano qui va te remettre cela en moins de temps qu’il ne faut pour le dire et pour trois fois rien »

J’avais des doutes, mais je les ai gardés pour moi. Car je suis une fille qui souhaite mettre de l’huile dans l’embrayage et qui change de véhicule pour un petit rien. Pour une voiture qui part en marche avant alors que j’avais mis la marche arrière, mais cela est un détail, faut s’y habituer, ainsi qu’à l’odeur de canard laqué carbonisé qu’elle dégageait et qui était tout sauf rassurante.

Rdv est pris avec Jacky 

« Il vient demain et il la monte chez lui »

« En dépanneuse ? »

« Non non, pas besoin, c’est un pilote Jacky. »

« Hein??!!?! Mais c’est à plus de 50km et ma voiture ne roule plus! Il ne va pas faire 100 mètres avec ! »

Il m’a regardé d’un air, « non seulement les filles jettent leur voiture pour un rien mais en plus, elles ne voient pas le pilote qui sommeille en chaque homme qui se respecte. »

C’est vrai que je me suis trompée. Jacky n’a pas fait 100 mètre. Il en a fait moins de 50 et a dû supplier les vendeurs hautains de Mercedes, où il s’était parqué en catastrophe, de ne pas envoyer ma caisse à la fourrière ou d’appeler le service de décontamination.

Oui car sur les 1001 probabilités qui s’offraient à lui, Jacky s’est stoppé net sur le parc Mercedes et a parlementé avec un de leur commercial qui pensent que de vendre des leasings à des personnes qui n’ont de gloire que leur voiture ou à des bourgeois sous viagra, leur donnent la légitimité de traiter l’autre comme une sous-merde.

Deux erreurs funestes, deux fois un manque de flair flagrant, dans ces conditions me doutant que Jacky allait me poser un embrayage de Lada, j’ai préféré cesser notre collaboration.

Le dernier à s’en mêler, et non des moindre, fût mon père. Mon père n’est pas du genre à entendre « non » comme réponse. Comme il n’a pas non plus une considération démesurée pour un avis qui n’est pas le sien. Mon père est un homme de passions soudaines et de grands combats. Comprendre le point de vue de ses enfants n’en fait pas partie. Les passions ne durent jamais et se succèdent, ce qui en fait quelqu’un de très occupé qu’il ne faut jamais chercher à suivre sous peine d’attraper un mal de mer certain. Ce sont souvent des personnalités décrites comme « intéressantes », même si, dans l’entourage direct, on a le sentiment d’être la priorité 256, celle qui arrive juste après « construire un château en allumettes ».

Mon père n’est d’ailleurs pas la seule personne que je connaisse qui m’ait donné cette impression dans ma vie. Je dois dégager des ondes qui attirent les gens qui ont beaucoup d’autres priorités que moi (ce qui peut être normal en soit), mais qui en plus, ont très envie de me le montrer (ce qui est moins agréable, admettons-le).

Alors quand mon père s’est fixé comme objectif de me trouver une voiture en me disant sur un ton solennel : « une voiture c’est un problème en moins », je ne pus m’empêcher de penser que la dernière qu’il m’avait mis dans les pattes fût un problème en plus, étant donné qu’après 6 mois j’en avais pour 1’500.- de réparations et que les trois autres « problèmes typiques sur ce type de voiture, Madame » qui ont suivi furent grosso modo du même montant.

«Non, promis, je vais la voir sans engagement et tu feras comme tu veux. » fût son premier message. Suivi un jour après par « la voiture est trop trop géniale dans le genre merveilleux et parfaite. Mais tu fais comme tu veux. »

J’ai entendu une phrase dans un film dernièrement « j’ai peur de toi, tu as le sens du drame anormalement développé ». Parfois on a des grandes pensées profondes sur le sens de la vie et notre société matérialiste, avec un sens du drame « anormalement développé ». J’étais dans un de ces moments-là. En gros j’ai répondu à mon père que je ne voulais plus de voiture, que l’on pouvait très bien s’en passer et que cela ne me disait plus rien de payer pendant la première partie de l’année pour avoir le droit de rouler, et passer la seconde partie à payer pour que la voiture soit en mesure de rouler.

Mon père qui d’habitude semble avoir le sms facturé aux nombres de lettres qu’il met dedans, s’est fendu d’une réponse plus élaborée. Qui ne mentionnait plus « fais comme tu veux » mais était plus sur le thème « ton choix est nul et sans fondement ».

Ce qui pour le coup n’était pas totalement faux mais un peu glaçant sur l’échelle de l’empathie.

Tant est si bien que de « tu fais comme tu veux » on a passé à « je vais chercher la voiture vendredi ».

Je suis donc maintenant une fille motorisée. Mais qui fait comme elle veut. Et pour que cela soit effectif, qui compte déménager, loin.

 

 

 

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