La vie est plus un consentement qu’un choix

on choisit si peu. On dit oui ou non au possible qui nous est donné. La seule liberté de l’homme, c’est de laisser la voile tendue… ou de la laisser choir. Le vent, lui, n’est pas de nous. »

Cette phrase est de l’Abbé Pierre et je l’aime beaucoup. A contre-courant de notre époque actuelle où l’éventail de nos choix se doit d’être infini autrement c’est pris pour une injustice flagrante. Le bonheur permanent étant le but à atteindre, occultant que sa beauté est justement qu’il n’est fait que d’instant.

Ce courant New-Age, reprenant les grandes lignes de la pensée positive en la vulgarisant façon pensée magique. Il va s’en dire que l’éventuelle nécessité que tout n’aille pas forcément toujours dans notre sens pour nous faire évoluer un minimum n’est pas traité.

Le concept « vous allez obtenir tout sans effort » étant assez alléchant et vendeur (en tout cas plus que « trimez comme un malade, rien n’est garanti») les bouquins d’auteurs à la mâchoire carrée et aux dents blanchies regorgent, surfant sur le succès du « Secret » dont j’ai déjà parlé. Partant du principe que la loi de l’attraction nous retourne toutes nos pensées et que l’Univers est un valet à nos pieds attendant nos moindres désirs tel le génie d’Aladin, il suffirait de s’imaginer devenir riche à million pour que cela vous arrive. Mais attention subtilité, ne faites pas comme tous ces gens qui se disent bêtement « ah si j’étais riche » et qui continue de vivre comme une personne normale. Vous, vous êtes riches et vous ressentez intérieurement et profondément tous les bienfaits de l’être, afin d’envoyer des signes clairs et sans équivoque, l’Univers étant par moment un peu dur de la feuille.

Donc en gros c’est cela, le fameux secret, vous vous visualisez riche et agissez comme si vous l’étiez. Garanti, ça marche. Tellement efficace que je me demande pourquoi il n’est pas mentionné d’envoyer la facture de votre séjour au Ritz à l’auteure au cas où votre richesse prévue tarde un peu à se concrétiser dans les faits. Et j’ajouterai que je suis navrée de prendre un exemple si matérialiste mais je n’ai pas souvenir que dans les multiples histoires énoncées dans ce livre il y ait eu des souhaits comme « éradiquer la faim dans le monde ». Non, ça tournait presque exclusivement sur le bien être personnel et financier. Ou alors de la santé, avec mention d’une ou deux guérisons miraculeuses de malades qui avaient appliqué le secret. Les milliers d’autres ayant trépassé après avoir fait la même chose sont quant à eux restés silencieux.

Cependant, on vous prévient, s’ils ne vous arrivent rien de bien même après avoir lu cette méthode complètement géniale qui ne peut que fonctionner, c’est que vous pensez mal ou alors que vous avez planté à un moment du processus et dans ce cas, Rhonda a prévu pour vous « le Pouvoir» ou encore « Le Secret au quotidien » qui vous réexpliquera à peu près la même chose. Mais il y a les doués qui comprennent du premier coup et il y a les autres. Et il y a surtout ceux qui deviennent très riches en touchant des droits d’auteurs en écrivant à peu près n’importe quoi, tout en prenant soin de citer Albert Einstein pour faire sérieux.

Serais-je réfractaire au Secret ? 2016 fût pour moi, on peut le dire : une belle année de merde. Pardon pour mon vocabulaire mais là tout de suite c’est le seul qualificatif qui me vient en tête.

Que ce soit personnellement ou professionnellement rien n’a semblé vouloir tourner dans le sens escompté. Et je ferais grâce à tout le monde, et surtout à moi-même, de faire le bilan des années qui ont précédé afin de ne pas courir au premier magasin de bricolage du coin acheter mon petit tabouret et ma corde.

Alors année de merde on s’entend. Je suis sur mes deux pieds, en un seul morceau et c’est presque le cas de mes proches. Objectivement on peut dire que je n’ai pas à me plaindre. D’ailleurs c’est ce que l’on dit non ? Avec les voeux de « bonne année » auxquels bon gré mal gré on doit se plier, il y a toujours un intellectuel qui ajoute « et surtout la santé, c’est ça qui est important ». De toute manière les conversations sont faites de cela, de remplissage. Car on le sait, du moins je l’espère, que non, l’année ne sera pas que « bonne ». Et pour un grand nombre d’entre nous ne plus avoir la santé se résume à une gastro ou un rhume. L’humain est ainsi fait, on répète des phrases en mode robot sans en penser un mot.

Tout ça pour dire que, oui, on peut avoir la santé et quand même avoir une période où tout va de travers. Une vie professionnelle et amoureuse au point mort avec tout pour bien faire, mais non, ça ne veut pas, ça ne décolle pas. Rien de pire que ces périodes « off » où la vie est comme une Party géante à laquelle tu assistes sans y être conviée. C’est très frustrant. Pour des raisons évidentes, j’élude cet aspect lors conversations banales et je me suis surprise à devenir très forte à meubler avec du rien.

Car c’est dans ces moments là, dans les périodes où ta ténacité est mise à l’épreuve que le plus dur c’est de survivre aux autres. Oui je crois que notre grand challenge, celui que l’on accepte avant de venir sur cette terre, c’est de côtoyer nos semblables en réprimant l’envie de leur en coller une en les écoutant, tellement chez certains, l’empathie et la considération de l’autre semble à des années-lumière de leur conscience. Les « autres » qui ont tant d’histoires passionnantes à te raconter sur l’appartement nouvellement acheté, sur les vacances qu’ils ont passées et les prochaines qui vont suivre. Alors que franchement, dans l’immédiat, à la compétition de « comparer nos vies afin de voir si la mienne est plus géniale que la tienne», ils peuvent passer leur chemin, tu as déjà déclaré forfait, ça n’est même plus drôle d’essayer de t’en mettre plein la vue. Toi ta semaine de vacances tu l’as passée sous la flotte à écouter le staff de ton hôtel te dire « enfin un peu d’eau ça fait du bien avec toute la sécheresse que l’on a eue ». Ton appartement est un minuscule placard donnant sur les conteneurs de tri sélectifs, avec des pigeons qui ont colonisé ton balcon. Pour ceux qui ne le savent pas, les pigeons sont des colocataires très sales et qui ont beaucoup de choses à se raconter bruyamment à 5 heures du matin. Encore plus bruyants que tes voisins du dessus qui ont pensé par je ne sais quelle gymnastique de l’esprit que de vivre à 5 dans un 20 m2 était tout à fait envisageable.

On est d’accord, mise à part si ton interlocuteur a habité dans les quartiers rebelles d’Alep, il y a de fortes chances que sa vie dans l’immédiat, que ce soit matériellement ou au niveau des hobbys, se passe mieux que la tienne.

Alors ce 24 décembre, quand je suis allée chercher mon repas du soir chez le traiteur et que le vendeur tout gentil en regardant ma commande m’a dit l’air triste en penchant la tête « toute seule madame ? » et qu’il m’a fait partager, ainsi qu’aux 15 personnes qui attendaient derrière moi, un sympathique moment de gêne silencieuse, j’ai compris que quand tout partait de travers, cela ne servait à rien de forcer.

J’ai abdiqué et mis la nourriture festive au frigo, j’ai sorti les pâtes et la mini bouteille de Moêt et Chandon et j’ai pleuré à chaudes larmes sur du Joe Dassin en pensant qu’à une époque pas si lointaine mon père me sermonnait quand j’allais à reculons manger la dinde trop cuite de ma grand-mère.

Oui le vent n’est pas de nous, il y a je pense une part de Karma, de destinée non négociable dans notre parcours ici-bas. Mais il nous reste une petite marge de manœuvre, et, ce qu’il y a d’appréciable quand votre vie n’est pas à la hauteur de vos espérances, loin s’en faut, c’est que vous n’avez absolument rien à regretter et vous pouvez la planter du jour au lendemain et décider de la changer complètement. C’est un sentiment de légèreté exquis, une belle liberté qui n’a pas de prix. Parti de ce constat, je vais continuer, inlassablement de hisser ma petite voile, et me dépêcher de laisser définitivement mon appartement aux pigeons.

 

 

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