Je déménage

Je n’habite pas dans le meilleur endroit du monde, je l’ai mentionné. Mon immeuble, qui a ce je ne sais quoi de déprimant et de mortellement ennuyeux dont le béton a le secret, fût construit à une époque où les architectes trouvaient cela vraiment formidable de faire des appartements qui se résumaient à des couloirs. Le couloir avec deux buffets et un four qui vous sert de cuisine vous emmène au couloir qui vous sert de chambre. On a l’impression de vivre dans un train c’est merveilleux.
Ma capacité à tirer le meilleur parti d’un espace et d’en révéler le charme discret (voir inexistant) est limitée. Mon appartement s’est donc très vite résumé à un entrepôt saturé. Se prendre les pieds dans l’aspirateur en essayant d’atteindre les toilettes, faire tomber les 15 paires de chaussures pour réussir à ouvrir le placard à habits, manger assise par terre, tel le camp de scouts, coincée entre le canapé lit et la télé. Mon espace de vie n’était pas très fengh-shui, c’est le moins que l’on puisse dire. Je détestais cet endroit et il me le rendait au centuple avec, notamment, une isolation inexistante qui fait que vos voisins deviennent vos colocataires imposés. Le loyer était bon marché c’est vrai. Et le bon marché ça attire plein de monde. Et plus tu attires de monde plus tu augmentes tes chances de cohabiter avec tout ce que peut engendrer notre planète comme type de personnalités enrichissantes.
De l’insomniaque qui cuisait son bœuf bourguignon à minuit sur du Brassens, de la bipolaire fan des années Yéyé qui hurlait sa haine sur le trottoir quand la Police venait la chercher pour lui faire faire un petit séjour dans un hôpital spécialisé, du dragueur à deux balles qui était venu chez moi en me faisant croire qu’il ne savait pas faire fonctionner le four et qui me regardait avec des yeux vitreux pendant que je lui ventais le mode « chaleur tournante », j’ai tout vécu dans cet appartement.

Cependant l’inconfortable à cette grande vertu de vous paraître irréel et de vous donner une excellente raison de ne pas vous investir. Vous n’êtes pas d’ici, vous n’appartenez pas à ces gens, vous n’êtes que de passage, vous allez bientôt partir de toute manière. Dommage pour moi, l’inconfortable allait durer des années.

Mais cette angoisse ne concerne-t-elle que moi ? On prend un appartement comme tout le monde, on met son budget vacances dans un canapé hors de prix, ce qui n’est plus très grave vu que les vacances sont compromises car on a adopté un chien qui sera interdit de tous les hôtels branchés et qui sera impossible à caser. Au point où on en est, faire des enfants n’est plus trop plombant. En gros on fait comme tout le monde : on met ses rêves dans une boîte, on ressemble à ses parents et on prend le train du système jusqu’à ce que l’on soit 6 pieds sous terre. De plus en matière de projets j’ai tendance à être très têtue. J’ai une vision précise de ce que je veux faire et n’y déroge pas même si je dois en payer le prix en stagnation et en endurance à la douleur. On m’a d’ailleurs souvent fait la remarque qu’on ne comprend pas mon fonctionnement, que ça fait longtemps que machin ou machine auraient changé de direction s’ils étaient à ma place. Ça tombe bien, ils ne le sont pas. Et est-ce pire que les boulimiques de projets ? Ceux qui font du remplissage d’envies, qui ont des rêves profonds qui datent d’il y a deux jours, qui vous donnent perpétuellement l’impression d’être dans une essoreuse quand bon gré mal gré vous devez les suivre dans leurs désirs pharaoniques ? Je ne saurais dire.

Mais oui, jusqu’à il y a peu, l’engagement quel qu’il soit me donnait la peur panique de fin et de renoncement. Un psy aurait peut-être pu élucider cela. Ça tombe bien, j’ai viré le mien par email à Noël dernier. Des années à le payer 200.- de l’heure et j’ai la fâcheuse impression qu’il attendait un peu nos séances comme la phase récréative de sa journée. Et à la fin de chacune, même dans les périodes les plus compliquées pour moi, il me souhaitait avec un grand sourire une « excellente soirée » ! C’est le genre de détail qui passe tout seul quand vous sortez de chez le coiffeur, moins quand vous venez de passer une heure à geindre sur votre vie et vos malheurs. Non vous n’allez pas passer une bonne soirée ni entamer un french cancan de bonheur à la fin de la séance et le fait qu’il vous le dise avec cet air enjoué limite ahuri, vous fait vous poser des sérieuses questions sur le bienfondé de mettre autant d’argent dans ce processus. Une semaine à ski c’est bien aussi et ça ne vous raconte pas sa vie alors que vous le payez pour écouter la vôtre. Oui car en plus il était bavard et je peinais par moment à en placer une.
Bref je ne vais pas revenir sur Noël et ma séance de déprime devant le « Grand bêtiser », mais à ce moment-là j’ai imaginé mon psy tellement satisfait de lui, me congratulant en me disant à quel point je réagissais sainement et comme j’allais bien. Sans dire que j’étais au bord du suicide, non je ne trouvais pas à ce moment-là que tout allait si bien que ça. Se fût pour moi la preuve flagrante de son inutilité. Je lui écrivis donc pour lui le dire avec des mots choisis. Toujours très enjoué , il me répondit que les points que je soulevais (pleurer seule devant télé=échec total) n’étaient pas quelque chose qui pouvait se régler en dynamique psycho-thérapeutique. Où un truc du genre. De toute manière, quand vous confondez un médecin, il vous sort plein de termes techniques incompréhensibles, histoire de vous perdre définitivement. Puis il a terminé son mail en me souhaitant tout de bon pour la suite. Avec un point d’exclamation. On continue sur le mode « Bonne soirée-french cancan ».
Elisabeth Kübler Ross était une psychiatre pionnière dans les soins palliatifs, elle a accompagné psychologiquement des personnes devant faire face à leur mort prochaine. ça c’est un challenge… Moi j’ai un côté obstiné, additionné à un karma capricieux qui me fait me prendre des murs, souvent les mêmes, et il me répond qu’il ne peut rien faire pour moi ? Il n’y a pas comme un problème ? Qu’est-ce qui est de son ressort alors ? La Reine des Neiges ? Il était temps de l’arrêter cette thérapie.
Et il était aussi grand temps que je me décide enfin de faire cesser le temporaire et de déménager.
Mon voisin du dessus venait d’accueillir sa femme et ses trois enfants dans son 20 m2. Des enfants bioniques où tu appuies sur le bouton « on » au petit déjeuner et que tu entends courir et hurler jusqu’au moment salutaire de les débrancher pour le coucher.
Ce même voisin m’avait fait du rentre dedans devant les boîtes aux lettres quelques jours avant l’arrivée de sa bruyante et nombreuse famille, ceci juste dans le but d’expliquer la classe intégrale du bonhomme.
J’ai décidé de passer outre mon rebu de devoir une bonne fois pour toute ranger et trier mon boxon et je me suis mise en recherche active d’un appartement.

J’avais une vision bucolique de la campagne. Je pensais que c’était totalement pour moi. Quitter la ville impersonnelle et agitée. Le moine zen est élevé que je devenais aspirait à autre chose.
Jusqu’à ce que je doive faire 30 minutes de route dans le brouillard sans croiser personne pour arriver à un village qui comptait 3 maisons et un bistrot. L’appartement étant au-dessus de ce même bistrot, en voyant les vieux alcoolos attablés à 10 heures du matin, j’ai presque regretté les enfants de mon voisin. Je n’ai pas eu à les regretter longtemps, l’appartement fût vite visité en 30 secondes. Accompagnée par la tenancière à leggings et moustache, je suis entrée, j’ai fait deux pas, j’ai regardé à gauche, puis à droite, et c’était fait.
Ne pas vouloir mettre un budget conséquent dans son loyer est parfois déprimant.
Surtout quand les visites de boîtes à chaussures s’accumulent, que votre père, qui ne vous a pas laissé le choix de sa présence, crois bon d’ajouter « si tu veux épouser un agriculteur et t’investir dans la kermesse, ce village est le bon endroit, autrement je pense que tu aurais meilleur temps de redéfinir ton lieu d’habitation. »

Ce qui fût fait. Les visites se sont succédées, dont la dernière épique avec une locataire cherchant à remettre son appartement, le sourire jusqu’aux oreilles, tellement contente, non pas d’avoir une repreneuse potentielle, mais d’avoir une autre victime à qui dire (en enchaînant les phrases sans s’arrêter) « mais vous comprenez je quitte l’appartement car je me mets en ménage…. J’avais pris cet appartement car j’avais divorcé mais je n’y ai presque jamais habité car j’ai rencontré quelqu’un tout de suite, mais vous comprenez après deux ans je lui ai dit va falloir se décider par ce que moi je paye un appartement pour rien. Et il a déjà tout alors si vous voulez mes meubles vous pouvez parce que je me mets en ménage. »
Tout droit sorti des années 50 ou la seule ambition de la femme était de trouver le mâle dominant qui allait lui assurer progéniture et prospérité, 5 ou 6 « je me mets en ménage » vainqueurs ont suivi. Avait-elle envie que j’applaudisse ou que je m’attable avec elle pour lui demander conseil sur sa technique pour retrouver quelqu’un aussi vite après un divorce (prendre le premier venu, me vient de suite à l’esprit), je n’en sais rien. Mais ce que je sais c’est qu’à la vitesse à laquelle elle m’avait soulée, l’appartement étant intéressant, je me suis dépêchée de déposer mon dossier de candidature, dans le cas où son chanceux compagnon aurait soudain une réserve au fait de l’accueillir chez lui de manière définitive.

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