Le pou narcissique

De nos jours il me semble que le pou narcissique est un type de personnalité en voie d’expansion. Je précise que je parle maintenant au masculin, ainsi que durant toute la suite de ce texte, uniquement pour des raisons pratiques, mais il s’entend que le pou narcissique peut tout aussi bien se décliner au féminin, l’égalité totale des hommes et des femmes en termes d’égocentrisme étant malheureusement beaucoup plus rapide que dans les autres domaines.
La technique d’approche du pou narcissique est relativement simple, de prime à bord volubile et sympathique, il vous englobe très vite dans son cercle, tel le pot de slim. Sa famille, sa vie, ses doutes et ses espoirs vous faites rapidement partie de ses confidents ce qui a pour conséquence de vous faire croire que vous êtes un élément essentiel de son existence. Tout droit sorti de ses selfies facebook dont il semble être issu, le pou narcissique n’a aucun secret pour vous, jusqu’à l’overdose même. On oublie souvent à quel point le mystère peut être séduisant et surtout reposant.
Et le pire dans tout cela, c’est que vous vous investissez…. Votre pou narcissique a une copine en Hongrie, vous connaissez la recette de la goulache, il retape une maison dans le sud de la France, vous êtes incollable en ravalement de façade, il ambitionne de changer de sexe, vous êtes ouverte et d’un soutien sans faille, vous vous tapez toutes les vidéos youtube d’ados étranges, expliquant à quel point ils se sentent équilibrés et épanouis depuis qu’ils se font injecter de la testostérone au litre dans les fesses et que leur barbe pousse. Cela semble être tellement formidable et le remède à tous leurs problèmes que vous, qui vous posez tellement de question sur la vie et son sens, durant ¼ de seconde, vous vous laisserez séduire. Jusqu’à ce que la description de l’apparition de poils sur le ventre finisse de vous rebuter à vie.
La vie avec le pou narcissique suit son court, sur le mode « me, myself and I » et vous vous en accommodez, bien que ces monologues et son égocentrisme vous sorte de plus en plus par les yeux. Mais, pensez-vous, vous ne pouvez pas le lâcher comme cela, ce serait mesquin, il a besoin de vous.
Et pourtant, on a tous fait ça, on sait que l’on va se planter, que la relation est vouée à l’échec pour avoir déjà vécu la même situation des dizaines et des dizaines de fois, mais on s’obstine dans notre espérance en l’humain. On voit l’iceberg, on met Céline Dion en sourdine et on accélère.

Jusqu’au moment où, oh rage ! oh désespoir!, vous vous apercevez que non seulement vous connaissez tous les détails d’une vie qui finalement ne vous concerne pas, mais, au gré des discussions avec son entourage élargi, que les confidences vont bon train, et d’« amie essentielle » vous êtes en fait la no 2345 à qui il a fait le coup. Vous n’êtes pas spéciale, vous n’avez rien de particulier à ses yeux si ce n’est peut-être une éducation d’assistante sociale qui fait de vous la candidate idéale au spam affectif. Sa vie, qui ne vous intéresse plus du tout, tout le monde la connaît.

Cerise sur le gateau, la relation avec le pou narcissique est par définition à sens unique, n’essayez pas de lui raconter votre repas préféré ou votre premier jour de maternel traumatisant, il s’en fout, au mieux vous aurez droit à un «c’est comme moi » et ça repartira sur lui. Et si vous vous rebiffez, vous aurez tort. Il tombera des nues. Vous serez une personne caractérielle et rigide qui ne sait pas prendre la vie comme elle vient et qui s’arrête sur des détails. Mais ça, cela vient de votre susceptibilité.
Je suis d’accord, j’ai une certaine sensibilité qui a des moments de ma vie a frôlé la susceptibilité. Ça fait partie (entre autre) de la créativité et du sens artistique, on a rien sans rien. Il est assez difficile de créer quand on ressent les événements et les gens qui nous entoure tel le meuble IKEA. Observer, prêter attention à ce qui peut paraître pour l’autre anecdotique, et souvent malheureusement, être touchée par la bêtise ordinaire qui n’étonne plus personne, fait partie du jeu.
Cependant, j’ai compris à force qu’il était parfois nécessaire de moduler mon radar afin que ce soit viable. Comme m’avait dit une fois un collègue de retour d’un méchant burn-out : « je vais mieux, j’ai fait des séminaires pour apprendre à m’en foutre ». Et bien c’est un peu ça, je me suis moi-même disciplinée pour « apprendre à m’en foutre ». ça ne ce fait pas du jour au lendemain, c’est travail quotidien est la tâche et parfois ardue.
Car s’il y a bien un point commun que j’ai pu reconnaître à tous ceux qui ont mis en avant ma sensibilité, pas dans le sens «comme tu es sensible, c’est génial de te connaître, tu es un peu mon idole » mais plutôt « qu’est-ce que tu es sensible, tu prends tout mal, met une camisole », c’est qu’eux, souvent en manquait cruellement. Il est assez facile de balancer une pelle à neige dans la figure de quelqu’un et de le trouver un peu douillet s’il se plaint de saigner du pif. La sensibilité, c’est comme la liberté : elle commence ou s’arrête celle des autres.

Et de nos jours parallèlement au pou narcissique qui en est l’emblème, le manque de considération, d’égard est légion, et même encouragé. On en vient presque à regretter l’époque moyenâgeuse où tout ce que l’on faisait était un potentiel pêché mortel et que l’on vivait de culpabilité (et accessoirement de peste). Car à force de nous répéter à longueur de magazine et de coaching bon marché que l’on doit cesser de se juger et que l’on doit célébrer qui ont est, devinez quoi ? plein de gens n’avaient pas besoin d’y être encouragés pour être leur unique source de préoccupation.
Le tout possible, l’hédonisme et être accepté comme l’on est, voilà notre mantra.
Sans dire que je suis une masochiste qui adore m’en prendre plein la figure, j’ai toujours trouvé que les difficultés avaient cela de bénéfique qu’elles m’ont fait avancer beaucoup plus vite que si tout avait toujours coulé de source. Il en va de même dans les relations et des remarques que j’ai pu avoir sur ma personnalité. Je parle bien évidemment des gens qui me sont proches. Les remarques du tout un chacun, je crois qu’il est bon de continuer d’apprendre à s’en foutre. On ne perd même pas son temps à essayer de répondre intelligemment en cherchant sur « citation.com » des phrases philo à deux balles dans le genre « Shut up ! You know my name not my story ». On dit “oui, peut-être que tu as raison” ce qui permet de clore le débat et de passer au sujet suivant.
Il ne va pas de même avec les personnes qui ont un avis qui vous importe.
Dans un contexte que je ne détaillerai pas ici car il n’apportera rien à mon propos, une fois, quelqu’un qui comptait à mes yeux m’avait dit pendant une dispute «et voilà…encore ta manière de réagir.Tout ce que je ne regrette pas chez toi ». (on s’était perdu de vue longtemps). Franchement je ne vais pas le cacher, ce n’était pas agréable à avaler ni dans le top 10 des compliments qui font plaisir à se remémorer les soirs de pluie, et j’ai eu plus de facilité à encaisser, en terme de douleur immédiate, l’opération d’une infection dentaire à vif, ça donne une idée. Mais…. Le choc de « donc on va dire que tu n’es pas complètement fan de moi et de mon œuvre en ce moment ? » passé, j’ai compris que même si la forme était discutable, le fond n’en était pas moins vrai. Effectivement, quand un événement m’atteignait trop profondément je pouvais parfois être un peu pénible (quand on parle de moduler le radar à sensibilité, on en plein dedans) voir lourde.

ça m’a fait me remettre en question, car forcément ce genre de remarque ça interpelle. J’ai changé et, oh miracle, j’ai évolué et moi non plus je ne l’ai pas regrettée ma manière de réagir.
Comme quoi, que l’on vous dise que vous êtes toute pourrie a parfois du bon, le pou narcissique qui se plaît à rester en surface ne sait pas à côté de quoi il passe. Et quelque chose me dit que s’il le savait pour rien au monde il ne changerait.

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