La vie

….c’est de la merde. Je fais en sorte de faire mon devoir pour laisser un héritage à mes enfants et j’espère que je ne serai plus là à 60 ans. Place aux autres ! »
Furent les mots pour le moins pas très encourageants d’un collègue, juste avant de partir en week-end.
Ça m’a laissée coi et pourtant je suis la première à qui le positivisme, qu’il est de nos jours important de pratiquer car c’est bon pour la terre et pour le teint, sort par les yeux. Il n’y a personne comme moi pour ramener tout le monde à la réalité. Plus par jeux et esprit de contradiction que par conviction profonde, il est vrai. Ce qui me plaît c’est de démonter les lieux communs. Je suis une optimiste pudique en quelques sortes.
Mais c’est un art. Donc résumer notre passage terrestre et l’envie que ça se termine, en deux phrases, sans forme ni effort rhétorique, je dis non. Le cynisme d’accord, mais avec de l’esprit, autrement cela n’a aucun intérêt en soit si ce n’est plomber bêtement son interlocuteur.
De plus, il n’a pas forcément choisi la meilleure personne pour adhérer à son concept : « la vie est pourrie, mourrons tous », je suis quelqu’un de très pugnace. Plus ça va de travers, plus je m’obstine. Et qu’est-ce la vie si ce n’est une succession d’événements imprévus et contrariants ?
A titre d’exemple de ténacité, idiote il est vrai, j’ai passé deux heures devant ma porte d’appartement à regarder des tutoriels pour essayer de l’ouvrir. Il était minuit je ne retrouvais pas mes clés, le serrurier me demandait un prix de dingue pour se déplacer et, galvanisée par mon mantra « tu n’es pas plus stupide qu’une autre, tu vas y arriver » j’ai décidé de me débrouiller. Premier constat sur ces apprentissages « online », quand il vous reste 20% de batterie, écouter un gars avec une gamme complète d’outils se contenter de vous donner le numéro d’embout dans son assortiment la plus apte à vous aider dans un pareil cas, ça agasse. C’est vrai, je n’ai pas mes clés mais par contre j’ai ma valise remplie de tournevis avec moi, c’est trop de bol ! Je vais d’ailleurs de ce pas ouvrir une autre porte que la mienne!
Mais cela n’était pas pire que le petit comique qui a pris la peine de faire une vidéo en expliquant qu’il fallait de la laque à cheveux et un peigne (et oui j’ai cliqué, je suis à tarter). La vidéo, heureusement courte, se termine par un emoji mort de rire. Et il va de soi que les commentaires de cette funeste plaisanterie allait de « tu te crois malin » à « gros débile ».
Wikihow et son «comment ouvrir une porte sans la clé » me parût la plus crédible. Comme demandé, j’ai minutieusement fait les mouvements circulaires avec un crochet improvisé et j’attendais patiemment que le verrou bouge pour augmenter la pression. Le verrou n’a jamais bougé. Tout ce que j’ai réussi à faire c’est abîmer la serrure, mes doigts et finir à 3 heures du matin dans un hôtel à côté de chez moi.
Je terminerai cette anecdote par le réceptionniste de l’hôtel, visiblement dérangé dans le visionnage d’un film pour adulte à petit budget, la 50 aines, perruque de travers, me faisant malgré l’heure tardive tout un protocole d’inscription et finissant par cette question existentielle
-lit double ou king size ?
-je ne sais pas.. king size….
Puis il me donne les clés en me disant :
-Les personnes dans la chambre d’à côté ont tendance à être bruyants, s’ils vous dérangent trop dites-moi et je vous change de chambre.
Je le regarde avec un air mi-sidéré mi-j’ai passé plus de deux heures à essayer d’ouvrir ma porte, j’ai besoin d’une amputation du pouce et je suis crevée donc je ne comprends pas ce que tu me dis.
-Mais pourquoi ne pas me donner tout de suite une bonne chambre ?
-Oui mais vous n’aurez pas un lit king size.
Silence. Je force mon sourire.
-je ferais sans.

Pour en revenir à mon collègue pressé de quitter notre planète, voyant que j’étais plus difficile à convaincre qu’il ne le pensait, il tenta de m’argumenter son propos en me demandant les satisfactions que j’avais dans ma vie. Les points principaux étant :
« ta vie sociale ? professionnelle ? sexuelle ? sportive ? » j’avais l’impression de faire partie d’un test psycho de magasine qui vous permet de savoir en 10 questions sommaires avec des réponses qui le sont tout autant, si votre bipolarité est sous contrôle.
Ce qu’il y a de positif avec la névrose modérée (merci les termes psy de mes 20 ans de thérapie), que vive le 80% des êtres humains sur cette terre dont moi (les autres étant de terribles psychopathes, ou un truc du genre), c’est que quand on est dans la période « up », on a une certaine tendance à être un imbécile heureux que même un sapeur de moral qui essaye de vous faire avouer que votre vie est une ruine sans espoir ne pourra atteindre.
De plus en période de vaches maigres ce qui concerne les relations sociales, je suis auto suffisante. C’est-à-dire que je peux me mettre à parler ou jouer des scènes toute seule, spontanément ou en observant quelqu’un d’inspirant. Certains s’émerveillent devant les plaisirs simples d’un chant d’oiseaux ou d’un rire d’un enfant, moi c’est les gens et tout ce qu’ils peuvent faire de vraiment drôle sans le savoir. ça m’enjoue le quotidien de manière radicale.
Comme une fille qui m’a servi sur un plateau le sketch de la coiffeuse de Sylvie Joly.
« ben pourquoi tu me regardes comme ça Josiane ? c’est énervant à la fin je te jureuuuu… C’est parce que tu trouves que mon rouge et trop vif à cause de ma grosse bouche? Et ben je vais te dire Josiane, je ne suis pas insensible aux magasines. Et cette année ils ont dit « forcez sur le rouge ». Alors j’ai forcé. »
Le ton, le propos, l’air intelligent, la bouche, tout y était. J’ai passé 20 bonnes minutes à l’écouter, fascinée, me parler de ses vacances en Thaïlande qui étaient « trop géniales». Les gens, les paysages, comme elle a grillé en bord de piscine « un jour avant de repartir c’est trop bête tu vois haaaaan ». A cela s’est ajouté une petite tourista maison « je ne comprends pas haaaan, je n’ai pas bu l’eau tu vois. C’est certainement à cause des glaçons dans mon coca, il fait tellement chaud t’es obligé d’en mettre haaan. Ou alors ça vient de la bouffe haaaan.» Un sketch vivant qui s’activait devant mes yeux. D’une simplicité reposante.
Mais elle aurait pu se contenter d’être drôle et m’épargner son avis sur la Thaïlande. A force que l’on m’en parle, il n’est plus nécessaire de me dire que c’est formidable, JE LE SAIS!
Ce pays me poursuit alors que je n’ai pour cet endroit vraiment aucune attirance particulière.
Tout d’abord il s’est imposé à moi dans ma vie privée. On l’a choisi à ma place. C’est-à-dire que, pour faire vite et sans rentrer dans les détails, après quelques années de relations tumultueuses on/off, quand c’est posé la question de partir vivre là-bas ou d’y renoncer et rester ici et tenter un parcours de vie avec une personnalité drôle, enrichissante et très attachante, à savoir moi, et bien c’est le poulet satay qui a gagné. Même si je suis consciente que ce n’est de loin pas la seule chose qui a pesé dans la balance, et finalement peu importe, le résultat est le même, je garde contre ce pays une petite rancœur tenace, mon esprit aimant parfois faire dans la simplicité et prendre des raccourcis. Au lieu de se torturer avec des questions qui n’apportent ni réconfort ni apaisement, et que l’on ne se pose qu’à soi-même finalement, on résume le tout par « saleté de Thaïlande, les asiatiques nous font beaucoup de mal » et c’est réglé.
Evidemment je grossis le trait, évidemment ce n’est pas si simple que cela, évidemment je tourne en dérision des choses qui ne m’ont pas du tout faire rire à la base. L’humour étant, c’est bien connu, la politesse du désespoir.
Et il en faut de la politesse, croyez-moi. Car depuis, je ne manque pas de gens qui me saoulent avec la Thaïlande. Comme un chat qui sent votre rejet et pour lequel vous devenez sa principale obsession sadique, on veut absolument me faire découvrir les qualités sans fin du pays du sourire. Alors que je souhaite pour ma part découvrir les richesses des 196 autres pays qui peuplent notre planète avant, c’est bête.
Je connais le refrain par cœur : en Thaïlande les gens sont teeeeeellement gentils, les paysages magnifiques, on y mange bien, c’est juste incroyable comme c’est mieux. Ici on est agressif, stressé, on ne sait pas prendre le temps de vivre, on a un temps affreux. La Thaïlande est une révélation.
Et là je ne prends pas en compte tous ceux qui avaient prévu d’y vivre car une carrière de DJ ou l’amour de leur vie les y attendaient et qui ont dû malheureusement y renoncer, soit parce qu’un enfant non prévu a stoppé net tous ses rêves de remix « catchy » de la Lambada pour l’un, ou parce que l’amour thaï semble malheureusement être aussi peu fiable que celui des européens, pour l’autre.
Il n’empêche, tous sont unanimes et dithyrambiques.
Je me contente de leur dire ceci : « en ce qui me concerne, je fais partie des gens prédisposés génétiquement à tout un tas de maladies psychosomatiques handicapantes, le stress y compris. La plage, si je sais que je vais y passer 5 minutes, ne me pose pas de problème en soit. Si c’est plus, je vais chercher le coin parfait à l’ombre qui me conviendra, puis je vais mettre longuement de la crème solaire, puis l’endroit ne me conviendra plus. Je relirai 15 fois de suite les premières lignes d’un article que je ne finirai jamais et je vais terminer par faire des longueurs et des longueurs dans l’eau pour empêcher que les 10 points futiles de mon existence sur lesquels je peux potentiellement m’angoisser ne se mettent à tourner en rond dans ma tête, tout ça à cause de l’ennui.
A cela s’ajoute une hypersensibilité à l’iode qui me donne l’impression d’avoir englouti trois Sundays d’affilé rien qu’au contact de l’air marin. Je suis donc, au bord de la mer, plus proche de la crise de foie permanente que du sentiment extatique de bien-être total.
Et pour finir, le merveilleux convenu et évident me déprime, j’aime par exemple le charme discret de mes fins de footing hivernaux, et je déteste plus que tout partir en vacances pour me retrouver avec les gens que je n’ai pas toujours la possibilité de fuir en temps normal.. »

C’est précis, cela ne donne pas loisir d’argumenter et cela m’évite de devoir passer par la case visionnage « des paysages magnifiques ! »

Du cynisme oui, mais avec de la rhétorique.

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