Comment avez-vous vécu ce moi(s)

Durant les longues heures que j’ai passé sur la chaise très inconfortable de mon psy (le divan étant malheureusement passé de mode), certaines choses m’ont particulièrement marquée dans le comportement de mon thérapeute. Par exemple sa propension à monopoliser la parole juste après m’avoir demandé « comment avez-vous vécu ce mois » pour me parler de tout un tas de choses qui n’avaient pas de rapport avec ma présence en face de lui, ou encore sa façon enjouée voir niaise de me souhaiter « une bonne soirée » à la fin de chacune des séances sans exception, même si je lui avais annoncé que toute ma famille s’était immolée après un culte satanique.
Bavard et avec une personnalité d’une stabilité digne d’un métronome, je crois qu’il ne connaissait de la dépression que les descriptions faites dans la littérature médicale. Et même si ça peut avoir un côté rassurant qu’il ne se mette pas à pleurer avec vous sur du Lara Fabian à l’évocation de votre vie, ça désarçonne de se rendre compte que sa compassion se limite à une compréhension scientifique de 50 minutes et qu’il se la joue Dory du « Monde de Nemo » au moment de vous raccompagner au seuil de son cabinet.

Il est déroutant d’avoir psy qui parle beaucoup. Déjà parce que c’est cher payé pour avoir des infos sans grand intérêt thérapeutique comme par exemple le prénom de ses enfants ou pire, qu’il vous fasse des confidences sur des patientes qu’il est amené à traiter « des filles comme vous, qui ont tout pour plaire avec une personnalité riche mais qui se retrouvent mystérieusement sur la touche dans le domaine sentimental…. Franchement je ne comprends pas… ».
Vous non plus vous ne compreniez pas. Certaines choses n’ont peut-être pas vocation à l’être. En tous les cas, sa représentation de la population terrestre dans une pyramide censée vous expliquer que les gens qui se trouve en haut de la pyramide (vous) sont moins nombreux (ben oui, il y a moins de place, logique) donc potentiellement plus difficile à rencontrer que la base, beaucoup plus courante, ne vous avait ni flattée ni réconfortée. « Vous êtes seule parce que vous êtes trop bien », mise à part une starlette de téléréalité, qui est-ce que ça rassure ?
Mais ce qui me gênait le plus dans cette incontinence verbale, c’est que ça donnait à cet être auprès duquel vous devriez pouvoir partager vos secrets les plus lourds, une réalité humaine.
Un psy ne devrait pas exister plus longtemps dans notre imaginaire que le temps que dure la séance. Après il devrait retourner dans sa petite boîte.
Il vaut mieux pour notre paix intérieure, passer sous silence qu’ils ont une vie, des qualités, des défauts et surtout qu’ils sont à l’abri du besoin grâce à la petite fortune versée durant ces longues années de thérapie couronnée de progrès discutables. Si les psys étaient rémunérés aux résultats, les vocations chuteraient.

Mais pour en revenir aux éléments marquants et récurrents qui virent au comique, j’ai en mémoire cette scène qui m’est arrivée de nombreuses fois. Durant une période difficile, après avoir passé une séance à sangloter sur ma vie que je trouvais fort triste, je me mets à fouiller dans mon sac à main sans arriver à mettre la main sur un paquet de mouchoir. La fée «organisation » s’étant prise le mur juste avant mon berceau, je suis capable de sortir 15 clés qui n’ouvrent plus rien avant d’y trouver quoique ce soit d’utile.
Je m’éponge donc le nez sur ma manche et tout ce que je pouvais, en espérant qu’il capte mon embarras et qu’il m’épargne d’avoir à lui demander un mouchoir. Normalement c’est un incontournable chez les psy, le paquet de kleenex est en libre-service sur le bureau, histoire de garder un peu de dignité et d’autonomie en évitant de devoir partager ce moment avec un thérapeute du genre distrait comme le mien, ou avec celui qui veut trop bien faire et qui vous en tend un au goutte à goutte sans que vous ne demandiez rien, l’air compatissant, à chaque sujet sensible alors que 1. vous pensiez avoir été discrète dans l’émotivité et 2. vous n’aviez pas du tout prévu de vous effondrer, mais de le mettre comme cela en évidence c’est maintenant forcément plus dur à retenir.
Le prévenant est tout aussi agaçant.
Pour le cas qui nous intéresse, en l’occurrence distrait, nez bouché et œil humide, je devais me résigner à lui demander de quoi arrêter le déluge. Et sa réaction était toujours la même. Tout sauf discrètement, il bondissait de sa chaise pour aller dans la pièce d’à côté en chercher, puis, imperturbable, sortait un petit calepin et me disait à haute voix ce qu’il y notait « acheter des mouchoirs» en ajoutant « C’est mon dernier paquet, octobre est un mois particulièrement tendu pour les troubles dépressifs, tout comme le mois de mars. Vous le saviez ? Ah oui ! mon stock chute drastiquement durant cette période». Puis il enchaînait sur un petit cours improvisé ayant pour thème « les prédispositions génétiques et l’impact climatique sur l’état mélancolique» qui durait tout le reste de la séance.
Alors oui, à force qu’il me le répète je savais qu’octobre et mars étaient les mois les plus propice à la crise d’optimisme généralisée. Mais je n’allais pas pour autant investir dans une lampe pour lutter contre le vague à l’âme saisonnier, qu’il y ait du soleil ou pas, je m’en fichais éperdument. Car ma prédisposition génétique à moi était une sensibilité exacerbée qui permettait peut-être de me retrouver en haut de sa pyramide imaginaire mais qui me faisait surtout vivre intensément et de manière très expressive les conflits parentaux anciens ou les ruptures amoureuses qui peinent à passer. Je sombrais dans une sorte d’introspection où j’alternais remises en question pathétiques et passage de ma vie entière au peloton d’exécution. Moments où j’aurais apprécié qu’il me donne des mouchoirs sans que je doive les lui demander.

Il n’avait pas la tâche facile certes.
Beaucoup de gens ne se posent pas des questions sur le sens profond de la vie du moins aussi souvent que moi. Quand cette dernière les malmène, le temps fait son travail, la roue finit par tourner, tout va mieux, et ils quittent son cabinet comme si tout cela n’avait été qu’un mauvais rêve, en lui donnant la satisfaction du travail accompli.
Je n’étais pas de ceux-là. J’étais un échec total sur bien des plans, et notamment à toutes ses techniques de positivisme et de projection à moyen terme d’un avenir beaucoup plus clément.
C’est d’ailleurs un grand classique, les moments où vous trouvez la vie exécrable, il y a toujours quelqu’un de bien intentionné qui se donne pour mission de vous faire changer d’avis en essayant de vous coacher et de vous faire penser projets et plans de carrière quand votre seule ambition et de vous envoyer la boite entière de Lexomil.
C’est le discours populaire en vogue que pour ma part je trouve insupportable qu’on vous sort à toutes les sauces. Il faut avancer, avoir des objectifs, aller de l’avant, etc etc. Et vous, vous n’y aviez pas pensé par vous-même…. Non, vous étiez plutôt dans l’optique de choisir délibérément de vivre une belle vie de merde sans la moindre aspiration ni rêve et de vous arrêter au bord du chemin en attendant que la grande faucheuse vienne vous délivrer, ce qui, si on se base sur votre génétique (pour cette fois favorable), diététique et autres activités sportives bonnes pour vos artères, devrait arriver dans une bonne 60 aines d’années. Fichtre ça risque d’être long, donc à noter en pense-bête : aller de l’avant.

Les histoires d’Amour finissent mal en général, les thérapies aussi. Comme en amour, il suffit dans une thérapie d’un détail, d’un enième « bonne soirée » inadéquat pour que vous compreniez que ça sera le dernier et que le psy n’est ni plus ni moins qu’un humain imparfait comme tous les autres, à la différence près que le vous payez pour écouter des choses que finalement, vous vous êtes lassée de raconter. Alors commence peut-être ce que l’on appelle la résilience ?

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