Time’s up

« On ne va plus rien pouvoir faire maintenant. On osera à peine regarder une femme de peur d’être attaqué en justice. »
Depuis l’affaire Weinstein je pense que l’on a à peu près toutes entendu ce genre de remarque. Avec le regard lourd, souffrant et accusateur comme si notre pensée dans l’immédiat en tant que femme était de prendre une paire de ciseaux afin de faire ce que notre inconscient nous dicte depuis des siècles : leur bondir dessus pour couper et porter leurs testicules en collier, comme un trophée, avant de tous les éradiquer.
Le siècle dernier avait déjà amené son lot de misère comme autoriser les femmes à voter, à avoir un compte bancaire ou de travailler sans demander l’autorisation de son mari. Puis tout est allé crescendo et s’est accéléré. Tant et si bien que, si cela continue, selon certains, on ne tend pas à la simple égalité mais à la domination pure et simple de la gente masculine, ce qui aurait pour conséquence de tacler méchamment l’harmonie dans les rapports de séduction entre hommes et femmes. Dommage. Tout se passait tellement bien jusque-là. Bon c’est vrai que l’on a vécu des moments difficiles à l’époque où ils nous tiraient par les cheveux pour rentrer dans la grotte mais petit à petit, 40’000 plus tard les choses s’étaient améliorées. Enfin, pour certaines.

En bonne fille bien éduquée je me suis justifiée. Mais non voyons ! La vague actuelle ne concerne pas tous les hommes, mais une certaine tranche. Les harceleurs, les agresseurs, ceux qui utilisent leur pouvoir et leur position hiérarchique comme moyen de pression pour contraindre les femmes a des relations non consenties (mot poli pour dire viol). Les hommes « normaux » ne sont pas visés. Et par hommes normaux, sans vouloir paraître élitiste, mon échelle part de très bas.
Sont inclus, par exemple, des supers beaufs dans le genre de ceux que j’ai dû supporter lors d’un repas avant Noël. Des types trop sympas, déjà soûls à l’apéro et qui ont pu me dire uniquement du début à la fin du repas à quel point ma robe m’allait bien. Alors oui, on peut me reprocher de me plaindre la bouche pleine, que c’est plus agréable d’entendre que l’on est jolie et bien habillée plutôt que l’on a tout de la truie en tutu, certes. Mais il y a l’art et la manière de faire un compliment.
Et cependant, même si la première fois était déjà avec l’œil vide et l’haleine chargée et que ça ne m’a pas fait plus plaisir que cela, j’ai quand même dit « merci ». La 10 ème fois, affalés sur moi avec la classe bien connue que l’excès d’alcool donne quand l’heure avance, ma réponse fût beaucoup plus sèche. Et quand les blagues sur l’hypothétique homosexualité du serveur ont commencé à fuser, je me suis dit que l’on était au plus haut de ce que l’on allait pouvoir partager intellectuellement et je suis rentrée.
Est compté aussi comme homme « normal » le gars que j’ai eu à côtoyer professionnellement, qui avait 20 ans de plus que moi et qui ne ressemblait pas vraiment à un dieu du stade. Mauvaise génétique : pas de sa faute. Par contre, me dire avec l’air séducteur ravageur de Piggy du Muppet show quand elle poursuit Kermit, que mon rouge à lèvre me donnait un air sexy, là on peut quand même se dire que ses longues années d’expériences auraient pu lui apprendre quels étaient les signes à reconnaître chez une femme en cas d’intérêt. Et que l’on soit polie et courtoise ne signifie pas forcément une attraction irrésistible à son encontre.
Je n’ai pas été blessante, je ne lui ai pas demandé de se regarder dans un miroir et de se remémorer vite fait son année de naissance avant de se lancer dans ce genre d’improvisation douteuse. Je ne lui ai pas dit non plus que le mot « sexy » ne s’utilise plus depuis les années 70 et que, n’ayant pas pour ambition de percer dans la danse burlesque, je préférais qu’il évite ce genre de qualificatif me concernant. Non je ne lui ai pas dit ça mais j’ai fait ce que font la plupart des femmes, un sourire qui veut dire « tais-toi s’il te plaît » et j’ai enchaîné avec le pourquoi de nôtre rencontre. Qui n’avait rien de galante.
Oui parce que c’est comme ça. C’est un acquis. Même si on ne connaît absolument pas notre interlocuteur, ce dernier peut donner son avis sur notre apparence physique comme un jury Miss France, et si c’est positif (la chance !), on doit être contente, voir flattée et si au contraire ça nous dérange, que l’on a quelque chose à redire, comme je l’ai lu dans un commentaire intelligent d’un internaute qui faisait suite à un (des nombreux) articles sur l’affaire Weinstein, on peut toujours porter une burqa. Classe.

Des exemples comme cela, des blaireaux, des sollicitations qui tournent plus au calvaire qu’à la flatterie, j’en ai 1 ou 2. Par semaine. Le dernier en date était un sms d’un gars que je connaissais un tout petit peu pour avoir parlé course à pied et fitness, toujours au travail, et qui m’avait demandé mon numéro de téléphone pour « aller une fois courir ensemble, je pourrais analyser ta foulée et te donner des conseils ». Sympa. Je n’étais pas complètement dupe non plus. Mais quand un soir, il m’a proposé d’échanger une photo de nos pectoraux, j’ai quand même été sciée par ce type qui sous ses airs débonnaires cachait un aplomb déconcertant. Derrière l’écran de son iphone en tout cas. J’ai passé par-dessus mon envie de lui en coller une. J’ai essayé de ne pas être vindicative. Je n’ai rien répondu. Deuxième sms « Je te pensais plus joueuse que cela. Bonne journée ».
C’est vrai, je suis une fille qui parle facilement et qui a de la répartie, j’aime même faire de l’humour par moment. Je suis donc une semi-prostituée qui se fait une joie d’envoyer des photos de ses seins sur simple sollicitation. Quand on avait parlé du marathon de Boston et des exercices de musculation, mon sous-texte disait : « déshabillons-nous » .

Et oui, encore un plouc. Encore un numéro à ajouter dans la longue liste de la catégorie « bloqué».
Les gros lourds, si vraiment, ma mémoire me permettait de les compter j’en aurais un nombre incalculable. Comme beaucoup beaucoup beaucoup de femmes.
Et ça c’est ceux qui restent à peu près polis. Les « salopes » dans la rue, pour ne pas avoir répondu à un « salut » de petites frappes, ne sont pas dedans.
Si je devais réagir à chaque fois que je suis « sollicitée » sans que ce soit réciproque 1. Je serais sous perfusion de lexomil vu ma faible capacité à gérer le stress 2. Je deviendrais un vrai pitbull
Donc j’alterne entre réaction, dédain, consternation et malheureusement : habitude
Voilà grosso modo la vie d’une femme dans un monde d’hommes.

Si je raconte toute cela c’est qu’il y a quelques semaines, une tribune qui se veut l’écho de la crainte que les scandales à répétitions qui ont suivi l’affaire Weinstein semblent faire naître chez certains et certaines, a été publiée. Prenant le contre-pied de tout ce que l’on a entendu ces dernières semaines, cette tribune, écrite par des femmes, s’inquiétait de la tournure que prenait les événements et réclamait, pour les hommes, la liberté d’importuner (comme s’ils s’étaient gênés de le faire jusqu’à maintenant). Leur argumentation était notamment, que « c’est un élément indispensable pour la liberté sexuelle » (ou du moins de l’idée qu’elles s’en font). Que « la fièvre d’envoyer les porcs à l’abattoir n’aiderait pas les femmes à s’autonomiser mais servirait les intérêts des extrémistes religieux et des réactionnaires et de ceux qui estiment, je cite, que les femmes sont des êtres à part, des enfants à visage d’adulte, réclamant d’être protégées. »
Oui ça va loin. Et, petit aparté qui me vient comme cela, « réclamer de se faire protéger » est-il pire et plus honteux que de prendre la défense de gros pervers pour bien s’assurer que l’on ne va inhiber personne et que l’on aura toutes les chances de son côté pour se faire culbuter? La question est ouverte.

Cette tribune a été écrite, entre autres, par une critique d’art et auteur rendue célèbre pour s’être épanchée durant un livre complet sur vie sexuelle libertine. Avec moult détails. Forcément, 220 pages, il faut bien meubler. Ce livre a été publié au début des années 2000.
Et dans un interview que j’ai vu de cette dame, elle expliquait que ce qui l’avait motivée à faire la démarche de co-écrire cette tribune (oui car il a fallu plusieurs plumes pour arriver à cette réussite) était qu’on ne parlait plus d’elle depuis pratiquement 18 ans et que sa faille narcissique et son besoin d’attention devenaient si difficile à contrôler qu’elle avait pris cette opportunité de créer le buzz afin de se faire inviter sur des plateaux télé, plutôt que de se lancer dans l’écriture longue et fastidieuse de « mes histoires de fesses n’intéressent plus que des mecs sous viagra, volume 1».
Non ce n’est pas ce qu’elle a dit. Mais au moins elle aurait été sincère, sans nous donner l’envie de demander l’assistance au suicide, tant son argumentation était affligeante.
Donc, ce qui l’a motivée, c’est qu’une éditrice lui a dit que son fameux livre, de nos jours, n’auraient certainement pas pu être édité. La littérature s’en serait peut-être remise (selon moi), mais pas la liberté d’expression (selon elle). Ni une ni deux, elle a pris son petit bâton de pèlerin et elle et ses copines nous ont expliqué qu’il fallait qu’on arrête de se plaindre si un mec avait un mot ou geste déplacé.
Il « suffisait », pour s’attirer encore plus de lumière, de faire signer une actrice incône et admirée (qui à cette occasion a méchamment dévissé de son Olympe) laquelle s’est persuadée qu’elle était revenue au temps des 343 salopes, en mélangeant les époques ainsi que les combats, et le tour était joué.

Dans leur viseur notamment, dédramatiser certaines pratiques, comme les frotteurs du métro. Quelle cause noble et qui vaut la peine que l’on se batte pour elle ! C’est super sympa comme expérience. Moi ça m’est arrivé quand j’avais 15 ans et j’en garde un souvenir ému. Bon sur le moment, voyant la rame complètement vide, ma jeunesse un peu candide trouvait bizarre que ce gars ne se mette pas ailleurs. Mais quand je me suis déplacée plusieurs fois et que je l’avais toujours contre mon dos, tout a été beaucoup plus clair. Je me rappelle avoir remis en question mon attitude ainsi que mon habillement, avec une méga honte qui a bien scellé le tout et qui m’a fait éviter d’évoquer le sujet jusqu’à ce que je comprenne, des années plus tard, que non seulement ça arrivait à d’autres mais qu’en plus, c’était un phénomène courant et connu qui allait devenir pénal.
Mais à l’époque de mon adolescence, la bonne éducation et l’inconscient collectif qui perdurent, à savoir « quand un gars se conduit comme un porc, la fille est responsable » marchait du tonnerre de dieu. Pourquoi des actrices venues d’Hollywood essayent de faire changer les choses, franchement ?

Et puis elle n’est pas si terrible que cela cette tribune puisqu’elles condamnent quand même le viol. Sur papier. Parce que dans les interviews c’est un peu différent…. Pendant que l’une argumentait que l’on pouvait jouir pendant un viol, l’autre disait qu’elle aurait aimé être violée pour prouver que l’on s’en sort très bien.
Cela est jouable, on peut y remédier très facilement. Il lui suffit simplement de se rendre dans un centre pénitencier en Alsace qui abritent des délinquants sexuels, dont un certain Guy Georges lequel, j’en suis sûre, même si elle n’est pas complètement son type, serait ravi d’y remédier. Bon il ne se contente pas d’être un gentil violeur qui pourrait lui permettre de mener à bien son étude sociologique et nous prouver que l’on est quand même des pleureuses quand on fait partie de celles qui pense que le viol est un crime odieux.
Guy Georges tue aussi. C’est assez souvent ce que les violeurs finissent par faire d’ailleurs, étant donné que leurs crimes sont très peu punis (quand ils le sont) et qu’on les laisse souvent s’en donner à cœur joie pendant des décennies avant de les arrêter. Quand c’est chose faite un avocat se penche longuement sur leur enfance difficile pour les faire ressortir au plus vite. Et qu’ils puissent recommencer et aller toujours un peu plus loin dans leur perversion.
Donc elle risque de se faire égorger mais il faut simplement qu’elle se rappelle pendant ce temps ce qu’elle dit des frotteurs du métro « j’ai de la compassion pour ces hommes qui doivent vivre une grande misère sexuelle ».
Guy Georges aussi doit vivre une grande misère sexuelle, et si elle s’en sort, elle pourra nous dire si sa compassion a été utile.

Cette génération de femme qui a écrit en partie cette tribune, je la connais bien. Elles sont nées après la guerre, ont connu mai 68. Entre leur mère qui était au foyer mais qui décidait à peu près tout, les mouvements féministes, la libération sexuelle, elles ont vogué de l’un à l’autre en essayant d’en tirer tous les avantages, pour arriver maintenant, à 70 ans et nous donner des leçons sur comment on doit se conduire et l’importance que rien, absolument rien ne change et faire par-dessus le marché, un doigt d’honneur à toutes celles se sont battues pour qu’elles puissent sortir de leur cuisine et s’exprimer librement.
Serait-ce pour dire des énormités.
Pour les autres, celles qui n’ont pas l’excuse de leur génération pour expliquer qu’elles soient à ce point à côté de la plaque, que dire si ce n’est que la misogynie et la bêtise touche tout aussi bien des femmes que des hommes.
Je leur laisse les frotteurs du métro, les films de Polanski ou de Woody Allen, elles peuvent continuer si elles veulent, de côtoyer les machos si chers à leur cœur. Elles peuvent aussi prendre ma part, je n’en ai plus la patience.
Le changement se fera, avec ou sans elles.
Je préfère en être.
Time’s up !

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